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La fin du Macumba

Une grande bascule historique


La fin du Macumba
John Travolta, "La fièvre du samedi soir" (1977) © ProfilesInHistory/BNPS/SIPA

Le dernier Macumba de France fermera ses portes le week-end du 22 et 23 février à Englos, dans le Nord. Pourquoi cette disparition est-elle si inquiétante ?


Pour une fois, les médias généralistes n’ont pas parlé de sentiment d’insécurité, ils n’ont pas fait preuve d’un déni du réel en cachant cette information par des statistiques sujettes à caution, ils n’ont pas insulté la population en la traitant de complotiste ou d’affabulatrice, ils ne pouvaient plus rien nous cacher. La vérité a éclaté dans sa nudité comme un parking désert offre sa désolation à quelques heures de l’ouverture. Laurent Delahousse, nordiste de cœur, a évoqué cette déflagration dans un long reportage sur France 2 et, la Voix du Nord, en date du jeudi 23 janvier titrait en Une : « On ne dansera plus au Macumba ». La vraie, l’immuable hiérarchie de l’information reprenait ses droits. Nous avons assisté à une leçon de journalisme qui a remis de l’ordre dans les priorités confuses de nos contemporains.

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Mission sanitaire

En rapport à ce bal tragique, l’investiture de Trump passait pour anecdotique, la feuille de route du gouvernement devînt accessoire et les errements de la RTBF, tellement dérisoires que l’on n’en parla même pas dans les rédactions sérieuses, la fin du Macumba écrasait la concurrence victimaire. Elle remettait la boule à facettes au centre du dancefloor. On fit même appel à l’essayiste Jean-Pierre Mader pour comprendre comment on en était arrivé là. Hier encore, les boîtes régulaient les flux d’une jeunesse en proie aux troubles hormonaux. Sans elles, leur mission sanitaire et éducative, la France connaîtrait un taux de natalité encore plus alarmant. Le chanteur toulousain qui s’y connaît en recherche du temps perdu, souvenez-vous de son cri prémonitoire : « disparue, tu as disparue » emprunta les mots de Jérôme Fourquet. Il affirma qu’une époque s’achevait, notre ère des loisirs, celle des Trente Glorieuses et de la Vème République stable, allait disparaitre et finalement, une certaine idée de la France du samedi soir. Pour une fois, les médias ont relaté le plus objectivement du monde les faits dans leur brutalité, dans leur radicalité sèche, sans artifices, avec l’émotion qui sied aux grandes bascules historiques. Les ricaneurs n’eurent pas le courage de semer la discorde car, au fond d’eux, ils savaient qu’ils perdaient un morceau de notre patrimoine. Le Macumba se meurt, il ne lui reste plus qu’un mois à vivre à Englos, dans le Nord. Après, c’en sera fini des discothèques populaires, celles qui ne pratiquaient pas la ségrégation à l’entrée, celles qui assimilaient les classes et les identités pour le bien de la nation.

Peaux et sueur

Notre pays n’a pas été assez reconnaissant pour l’œuvre civilisatrice que les « Macumba » ont tenté, partout sur le territoire, de promouvoir durant cinquante ans. Un modèle d’intégration par la fête qui vaut largement toutes les intégrations européennes par la loi. On dansait au Macumba pour oublier, pour se libérer, pour se rencontrer, pour exister enfin durant quelques heures, pour échapper à la solitude des nuits sans contact. Sans cette soupape, certains auraient sombré. Au Macumba, un jour de chance, on attrapait dans le regard de l’autre, ce petit supplément de vie qui nous permettait de nous accrocher encore une semaine de plus. Les emmerdes, le boulot, les impôts, les galères, le Macumba, rouleau au rythme disco, les aplanissait sur des tubes entraînants.

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Avec le Macumba, nous avons vécu une histoire de peaux et de sueur, de chevauchées fantastiques sur la piste, de déconnades et de chambrages, de ces minuscules instants qui scellaient jadis les peuples heureux. Le Macumba faisait barrage aux cons par le slow et le DJ, métronome de nos effleurements, était un alchimiste des platines. Au Macumba, les gens s’amusaient et se protégeaient, ils n’étaient pas des ennemis de quartier. Alors, Sardou ne chantera pas « Ne m’appelez plus Macumba ! » mais il s’agit bien d’un morceau de France qui va partir aux oubliettes, une France qui draguait sans fausse pudeur, qui s’habillait pour sortir, qui, par sa modestie, sa politique des petits pas, n’était pas dogmatique comme d’autres institutions poseuses et inefficaces ; le Macumba envisageait un destin commun à tous ses habitués. Cette France digne et aujourd’hui abandonnée, périphérique et méprisée pleurera le Macumba comme un dieu païen, généreux et pacificateur.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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