Existerait-il un portrait-robot du délinquant en lien avec son pays d’origine ? Serait-on prédestiné à commettre des infractions selon un mode opératoire particulier qui signerait sa nationalité ? L’actualité récente semble le prouver sans conteste. Troublant et imparable…
En France des aigrefins avaient brillamment mis en œuvre, au préjudice de la société gérant les chèques-vacances, la technique du faux ordre de virement, ce qui leur a permis de détourner en douceur plus de 900 000 €, virés sur un de leurs comptes en Chine. Enivrés par leur succès, ils ont alors imaginé d’en faire autant avec les services de l’Elysée, prouvant ainsi qu’ils étaient bien français puisque nullement tenus à l’impossible. Nos escrocs ont donc imaginé de réclamer le règlement d’une pseudo-facture impayée due à Air France pour des voyages officiels. Idée géniale, car chacun sait, et notamment à la Présidence, que notre chef de l’Etat actuel se déplace beaucoup, et pas en DS. Pour rendre plus crédible cette demande subite, un des délinquants a téléphoné aux services ad hoc de la Présidence, en se faisant passer pour l’un des directeurs d’Air France et en se plaignant amèrement dans le registre : « C’est inadmissible d’imposer à des prestataires de service de tels délais de paiement ! Comment voulez-vous qu’on s’en sorte ? Quelle honte ! » Cette manifestation d’humeur typiquement frenchie a convaincu l’interlocuteur élyséen qu’il s’agissait bien d’une demande légitime émanant de la compagnie aérienne….
Bon, comme il existe une morale, la tentative a échoué : l’envoi de la facture et les instructions de virement ne comportaient pas le code réglementaire qui, seul, aurait authentifié une démarche licite. Mais on admire quand même le louable effort d’inscrire le forfait dans la plus pure essence nationale : montant élevé de la facture (deux millions) en conformité avec le rang du Prince ; dédain assumé pour le détail même des prestations, d’où une facture globale, car en France l’intendance suit toujours ; amabilité légendaire du commerçant qui vous engueule tout le temps (à l’origine de tant de dépressions de jeunes Japonaises récemment débarquées sur le sol français) et exigence impérieuse de solution immédiate, marque absolue du bon droit du demandeur…
Nous avons bel et bien assisté là à une escroquerie à la râlerie, spécialité française s’il en est ! N’étant candidat à aucune élection, j’admets volontiers que toute démonstration portant sur un fait unique est sans portée. Aussi devons-nous admirer l’ingéniosité américaine en la matière pour nous convaincre qu’elle use d’autres ressorts et de ses propres expédients.
Greg Mortenson a écrit un best-seller (vendu à plus de 4 millions d’exemplaires) intitulé Trois tasses de thé, récit tiré, pensait-on, d’une expérience édifiante et vécue. Après avoir échoué dans l’ascension du K2 (deuxième plus haut sommet de l’Himalaya et du monde), l’alpiniste Greg Mortenson se perd et se retrouve au fin fond d’une vallée pakistanaise où, après avoir été recueilli, requinqué à coup de tasses de thé, soigné et finalement sauvé par des autochtones aussi hospitaliers que dénués de tout, il décide, tel Mac Arthur, de revenir et de construire des écoles.
Aussitôt rentré au bercail, il crée une fondation, la Central Asia Institute (CAI et non CIA, comme je l’entends murmurer par certains anti-américains primaires), qui s’engage à construire peu ou prou 170 écoles au pays perdu de ses sauveteurs. Greg Mortenson trouve des donateurs parmi les personnalités connues et reconnues. Barak Obama himself reverse 10 % du chèque de son prix Nobel à CAI.
Total respect, sauf qu’après que la chaîne CBS a mis son nez dans l’affaire, le conte de fées s’est soudain transformé en sordide feuilleton judiciaire. Tout d’abord, le rescapé Greg Mortenson aurait beaucoup inventé et fabulé. Pour un Français, ça le rendrait presque sympathique, il pourrait même présenter le journal de 20 heures….
Pour les vertueux Américains, ça coince, surtout lorsque la supercherie est dénoncée par le journaliste Jon Krakauer qui, circonstance aggravante, a réussi, lui, à gravir l’Everest…. Mais le vrai problème est ailleurs. Il semble que malgré l’importance des fonds récoltés, 41 millions d’euros, le compte n’y soit pas s’agissant de la construction d’écoles. Certaines des écoles qu’il revendique existaient déjà bien avant que Mortenson les ait financées, d’autres n’existent toujours pas, d’autres ne sont que des hangars vides et ainsi de suite.
De plus, la Fondation CAI a permis à Greg Mortenson de s’enrichir personnellement en supportant tous les frais de déplacement de ses conférences vendues 30 000 € l’unité. CAI a aussi acheté aux libraires des dizaines de milliers d’exemplaires de Trois tasses de thé, permettant ainsi à l’auteur de percevoir des droits d’auteur à son seul avantage, sans compter les sommes non affectées à l’objet de la Fondation qui ont bien dû atterrir dans une poche quelconque.
Une enquête a été ouverte dans l’État du Montana où se trouve le siège social de CAI. Sommé de s’expliquer par les uns et les autres, le principal intéressé se fait systématiquement porter pâle au motif qu’il serait une personne timide et introvertie, peu rompue aux dangers du cirque médiatique. Très touchante défense de la part d’un monsieur qui donne environ 160 conférences par an…
Bref, dans cette fraude présumée made in USA, nous voyons à l’œuvre non pas le scénario indigent d’un feuilleton à la française genre Louis la Brocante, mais une surproduction comme seul Hollywood sait en fignoler avec happy end et morale d’accompagnement incluse : 3 tasses de thé offertes qui seront restituées au centuple du centuple aux bienfaiteurs, ou comment filer ad nauseam la métaphore de la bonne action récompensée.
Reconnaissons, en étant beaux joueurs, que la méthode Mortenson témoigne d’une ambition qui manque un peu à notre et artisanale tentative hexagonale de carambouille, visât-elle le plus haut échelon de l’État. Il s’agissait ni plus ni moins de lutter contre l’obscurantisme et le fanatisme dans les zones tribales d’Afghanistan et du Pakistan en offrant l’accès pour tous à l’éducation, y compris aux filles. Une escroquerie au souffle wilsonien comme seuls les Etats-Unis peuvent en générer.
On retiendra de tout cela que ce n’est sûrement pas en râlant que Greg Mortenson aurait attiré le moindre kopeck et, de la même façon, ce n’est pas en se contentant de raconter une belle histoire qu’on aurait failli arnaquer la Présidence française.
Comme quoi les identités, les particularismes, les frontières ont encore un sens à l’heure de l’escroquerie internationale et mondialisée.
Trois Tasses de thé. La mission de paix d'un Américain au Pakistan et en Afghanistan
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