En France, on ne déboulonne pas les statues, disait Emmanuel Macron. Pourtant, chaque mois, la statue d’un personnage célèbre est déboulonnée. Le 4 décembre, à Saint-Denis de la Réunion, c’est celle de Mahé de la Bourdonnais qui a été retirée de l’espace public. Dans un essai précis et enlevé, Dimitri Casali dénonce ce totalitarisme woke.
Causeur. La dernière statue à avoir été déboulonnée est celle de Mahé de la Bourdonnais, à la Réunion. Cet homme était-il un épouvantable esclavagiste ?
Dimitri Casali. L’exemple de Mahé de la Bourdonnais est excellent, car c’est un symbole très fort : marin parti bourlinguer, tout jeune, il a été à la fois explorateur et grand navigateur (il a même perdu un bras contre la Royal Navy !), avant d’être nommé gouverneur des Mascareignes en 1733. Les Mascareignes rassemblaient la Réunion, l’île Maurice et Rodrigues. Et il a fait de cet archipel un îlot de prospérité à force de travail acharné et, surtout, d’intelligence. Administrateur de génie, il a développé la canne à sucre, le café, les épices. Il a aussi construit toutes les infrastructures de la Réunion et de l’île Maurice, des routes, des aqueducs, des hôpitaux. Pour cela, c’est vrai, il a employé le travail forcé d’esclaves, mais il faut rappeler que la Réunion était alors une île déserte ! Il n’y avait rien ni personne. Sans Mahé de la Bourdonnais, la Réunion ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui.
Sa statue trônait en plein centre de Saint-Denis depuis 1856. L’œuvre avait même reçu un prix à l’Exposition universelle, sous Napoléon III. Aujourd’hui, la ministre de la Culture et le préfet de la Réunion ont donné leur accord pour la déboulonner et la cacher dans une caserne fermée au public. Tout le monde ignore que cet homme avait épousé une métisse avec qui il avait eu une fille, noire, qu’il a reconnue et ramenée à Paris afin de lui donner la meilleure éducation possible. Cet épisode ne dépeint pas véritablement le profil de raciste impénitent dont parle la maire de Saint-Denis. La suppression de ce monument par la France officielle est une grande première pour satisfaire le wokisme ambiant.
On déboulonne aussi des antiesclavagistes et des personnages qui n’ont aucun rapport avec l’esclavage, comme le général de Gaulle.
De Gaulle, comme Churchill, sont aussi traités de suprématistes blancs. Ce mouvement de déboulonnage s’inscrit dans un vaste mouvement qui débaptise nos rues et nos écoles, réécrit nos textes littéraires, cache nos tableaux…Cette idéologie woke veut effacer nos racines et notre histoire.
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Votre livre traite de situations similaires en Angleterre et aux États-Unis. En France, le président a dit : « La République ne déboulonnera pas une seule de ses statues », et pourtant…
Le 14 juin 2020, Emmanuel Macron a affirmé qu’en France, on ne déboulonnerait aucune statue, mais pas un mois ne passe sans qu’une statue ne soit déboulonnée ou dégradée. Huit jours après cette déclaration, la statue de Colbert, devant l’Assemblée nationale, était recouverte de peinture rouge et d’un tag : « Négrophobie d’État », alors que le site est surveillé par la police ! Un mois plus tard, c’est la statue de Joséphine de Beauharnais qui était pulvérisée aux cris d’une vingtaine de Martiniquais indépendantistes, le MIR. Ce qui est grave, c’est qu’il y avait un cordon de CRS, non loin des manifestants et qu’ils ont laissé faire ! Normalement, en France, quand on dégrade une statue monument historique, on est condamné à sept ans de prison et à une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 euros. La loi n’est plus appliquée.
Ce n’est pas nouveau dans l’histoire qu’on veuille effacer l’histoire…
Sous la Terreur surtout ! En 1793, ce mouvement a été terrible pour notre histoire. Les jacobins – amis de Robespierre – ont voulu éradiquer toutes les racines chrétiennes et monarchiques de la France. Un vrai cauchemar artistique. On a alors perdu énormément d’œuvres d’art.
La nouveauté est peut-être que ce mouvement woke est marqué par la bêtise et l’ignorance ?
Absolument. On assiste au choc entre la méconnaissance de l’histoire et la bêtise. L’effondrement de l’école y est pour quelque chose, car l’ignorance se télescope avec l’actualité brûlante. Les conséquences sont inquiétantes, car si nous n’avons plus la même histoire, nous n’avons plus la volonté de vivre ensemble. C’est la porte ouverte à une société de haine et de guerre civile. Les terroristes islamistes ont compris mieux que nos dirigeants l’importance de notre histoire et de notre culture, raison pour laquelle l’assassin de Dominique Bernard cherchait un prof d’histoire à assassiner ! Nous avons la plus belle histoire du monde. Il faut absolument raviver ce sentiment national qui n’existe plus. Dans les manuels d’histoire, les termes « sentiment national » et « patriotisme » ont disparu depuis une vingtaine d’années. Enfin, il ne faut pas avoir peur de contre-attaquer. Personne ne parle des 1 250 000 esclaves blancs (fourchette basse) enlevés par les Barbaresques. À notre tour d’exiger des excuses et des réparations !
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Ne soyons pas plus woke que les woke ! Dans votre conclusion, vous écrivez que « la mémoire divise et l’histoire réunit ».
Pierre Nora disait que « l’histoire rassemble ». Je préfère dire qu’elle réunit. Cela rejoint l’idée de Simone Veil qui n’aimait pas l’expression « devoir de mémoire ». Pour elle, il n’y avait qu’un devoir, celui d’enseigner et d’éduquer. Je trouve ça excellent, car les mémoires sont les souvenirs historiques de communautés souvent drastiquement opposées. Alors que l’histoire, si on analyse froidement les faits, ne peut être jugée. L’histoire n’est ni noire ni blanche, elle est grise et c’est ce gris de la complexité qui la rend passionnante. Voilà ce qu’on devrait enseigner à nos enfants.
Voltaire où es-tu ? Il y a pile un an, Causeur prenait fait et cause pour le retour de Voltaire. Cette initiative lancée par René Monier, un citoyen alarmé par la disparition de la statue du philosophe, square Honoré-Champion (Paris 6ᵉ), a, en quelques semaines, réuni près de 5 000 signatures pour réclamer le retour de l’œuvre sur son socle. La Mairie l’avait exfiltrée en 2020 après des dégradations en série, Voltaire étant, c’est bien connu, un méchant esclavagiste. La promesse de son retour a été faite à l’été 2023. Début 2024, il n’est toujours pas revenu. La décision revient au ministre de la Culture qui s’illustre, ô surprise, par son non-empressement. Plus que jamais, la pétition mérite d’être signée : www.leretourdevoltaire.com
À lire
Dimitri Casali, Ces statues que l’on abat, Plon, 2023.