J’admets que, dans une religion, la liturgie a son importance, tout cet art d’adresser ses prières à Dieu dans la forme la plus exquise et la plus consacrée. Mais je pense aussi qu’il faut nourrir le croyant spirituellement, grâce à l’apport considérable de la littérature, littérature pris au sens large (la littérature est selon moi, non un divertissement, mais une chose sérieuse). Je dois avouer que je suis revenu de nouveau vers ma religion grâce à mes lectures. Je n’ai pas la foi du charbonnier, mais, comme disait l’autre, j’ai la religion des textes. C’est très différent, et je ne sais pas lequel est le meilleur. Dans mon adolescence, j’ai été très marqué par le chapitre 11 du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. L’esthète anglais, lui-même d’origine irlandaise et donc catholique, décrivait ainsi les états d’âme de son jeune héros, parfait dandy devant l’Éternel : « Le bruit courut un jour de son ralliement prochain à l’Église catholique romaine ; et il est sûr que le rituel romain l’attira toujours fortement. Etc., etc. » S’ensuit un très beau paragraphe où Wilde expose les beautés de la religion et toutes les raisons de la pratiquer. Ce passage, parmi d’autres, n’a cessé de me fasciner depuis que je l’ai lu pour la première fois, et a beaucoup compté dans mon attrait pour le catholicisme romain.
Les textes édifiants du Vatican
C’est dans une telle logique « apologétique » que je lis, avec une certaine délectation, les documents qui nous viennent de Rome. Des encycliques papales aux interventions moins solennelles, je les consulte avec curiosité. La qualité varie, certes, et la grande période du pontificat de Jean-Paul II, si riche dans sa production théologique au cordeau, ne reviendra sans doute pas de sitôt. Néanmoins, les textes édifiants du Vatican continuent à sortir et, de mon côté, je continue à les lire. C’est ainsi que j’ai pris connaissance, tout récemment, du bref opuscule intitulé Dignitas infinita, publié par le Dicastère pour la doctrine de la foi. Le pape François avait demandé au cardinal argentin Victor Manuel Fernández une réflexion sur « les questions étroitement liées au thème de la dignité ». Le projet en a été mûri sur une longue période de près de cinq années. Évidemment, le sujet de la dignité humaine reste essentiel dans la pensée chrétienne, le cardinal précisant dans sa présentation que « la déclaration s’efforce de montrer qu’il s’agit d’une vérité universelle ». D’où, il me semble, l’importance réelle de ce texte ecclésiastique, qui surgit au milieu de la crise morale que traverse notre société occidentale.
Les notions fondamentales
À la base de toute cette réflexion, notons-le, nous trouvons des points de référence indiscutables, comme la très laïque Déclaration universelle des droits de l’homme, édictée par l’ONU le 10 décembre 1948. Mais ce sont surtout des documents proprement d’Église qui sont mentionnés, tels ceux tirés du Concile Vatican II (par exemple la célèbre constitution pastorale Gaudium et Spes de 1965). Dignitas infinita a donc le mérite de rappeler les notions fondamentales déjà acquises, sans pour autant s’appesantir sur les détails. Cette méthode permet de mettre globalement en valeur le magistère moral de l’Église d’aujourd’hui, avec également les encycliques et autres documents spécifiques, cités ici à profusion. L’Église a choisi l’espérance, et Dignitas infinita d’invoquer l’Exode, « cœur de l’Ancien Testament », qui annonce un Dieu attentif à la détresse de l’homme (« j’ai vu la misère de mon peuple […] J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs ; oui, je connais ses angoisses. » Exode 3, 7). On retrouve ici l’écho répété, mais justifié, de maintes déclarations du pape François sur les exclus du monde.
Une pensée chrétienne de haut vol
Dignitas infinita, je voudrais le souligner, doit beaucoup aux conclusions récentes de la philosophie morale, telle qu’elle se développe aujourd’hui dans le milieu fermé des universités. Le nom du grand penseur Emmanuel Levinas, fondateur d’une phénoménologie de l’altérité, figure dans une note : « Pour un penseur juif comme Emmanuel Levinas (1906-1995), est-il écrit, l’être humain est qualifié par sa liberté en ce qu’il se découvre infiniment responsable de l’autre être humain. » La partie sans conteste la plus intéressante de Dignitas infinita (les cinquante premières pages) tourne autour de cette spéculation éthique qui, tout naturellement, devrait inciter les lecteurs à poursuivre plus avant. Il y a dans cette pensée chrétienne de haut vol une authentique rigueur intellectuelle, qui attirera même certains agnostiques ou certains athées. Et si l’amour du prochain se révélait comme la solution à tous nos maux ? C’est la réponse chrétienne de Dignitas infinita, en plein contraste avec le relativisme et l’individualisme chroniques de nos sociétés.
Dignitas infinita « Déclaration sur la dignité humaine », Dicastère pour la doctrine de la foi. Éditions du Cerf, 2024.
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