Au cours des trois dernières semaines, c’est à deux reprises que le président Joe Biden a évoqué publiquement la difficulté du retrait d’Afghanistan de tout le personnel non diplomatique américain avant la date limite stipulée dans l’accord entre les États-Unis et les talibans.
« Il va être difficile de respecter la date limite du 1er mai », a-t-il déclaré lors de sa première conférence de presse, « rien qu’en termes de raisons tactiques, il est difficile de faire partir ces troupes. » La durée des opérations de combat américaines en Afghanistan, en Irak, en Syrie et ailleurs illustre les difficultés politiques qu’occasionne, pour la Maison Blanche, un désengagement complet des efforts de lutte contre le terrorisme à l’étranger. Toutefois, en l’occurrence, c’est aux difficultés logistiques que fait allusion le président des États-Unis. Pourquoi est-ce si difficile sur le plan logistique ? Quelles sont ces « raisons tactiques » auxquelles Biden fait référence ?
Les retraits militaires de grande ampleur sont des opérations complexes, en particulier ceux qui nécessitent une évacuation totale des troupes et des équipements du théâtre des opérations. Repli des troupes et de leur équipement dans un environnement peu sûr, transfert ou destruction du matériel et des installations en trop, transport de tout le reste hors du théâtre d’opération… il faut du temps et des efforts pour effectuer tout cela de manière ordonnée. En Afghanistan, des contraintes géographiques, diplomatiques et juridiques viennent encore compliquer ce processus. Les États-Unis pourraient retirer leurs forces au cours des prochaines semaines, mais cela serait difficile et extrêmement coûteux. Il faudrait sans doute, pour cela, aller chercher des ressources de transport et de logistique en place pour d’autres missions dans le monde, abandonner un tas d’équipements en parfait état en Afghanistan, signer des contrats coûteux pour arriver à une capacité de transport rapide, laisser les forces alliées et partenaires en Afghanistan dans l’incertitude et, potentiellement, faire courir un plus grand risque aux troupes américaines sur le terrain pendant le retrait. Si les États-Unis ne sont pas disposés à payer ce prix (et, visiblement, Biden ne l’est pas), il leur faudra probablement bien des mois, et non des semaines, pour arriver à un retrait complet d’Afghanistan.
La posture actuelle des forces américaines en Afghanistan
Les États-Unis ont actuellement entre 2 500 et 3 500 soldats sur le terrain en Afghanistan, aux côtés d’environ 7 000 soldats de leurs alliés de l’OTAN, soit un total d’environ 10 000 soldats à retirer. Théoriquement, les États-Unis pourraient laisser les forces de l’OTAN livrées à elles-mêmes, mais cela semble peu probable compte tenu de l’objectif de l’administration Biden d’arranger les relations entre les États-Unis et l’OTAN et de la récente déclaration du secrétaire d’État Anthony Blinken, qui a assuré que les États-Unis et l’OTAN « partiraient ensemble ». Si l’on ajoute les contractors, employés de sociétés militaires privées, dont l’accord entre États-Unis et talibans stipule qu’ils doivent également quitter l’Afghanistan, le nombre total de personnes à retirer se situe entre 15 000 et 20 000.
La grande majorité de ces personnes sont logées dans une douzaine ou une quinzaine de bases, où se trouvent des quantités considérables d’équipements, militaires et non militaires, nécessaires pour subvenir à leurs besoins essentiels et à leurs opérations quotidiennes. Dans chacune de ces bases, on trouve entre autres des assortiments de véhicules à roues polyvalents à haute mobilité, de véhicules protégés contre les mines et les embuscades et de véhicules tout-terrain connexes utilisés pour les opérations de combat, ainsi que des véhicules plus petits tels que des M-Gators et des voiturettes de golf renforcées utilisées pour se déplacer dans les bases elles-mêmes. Il y a des piles de conteneurs maritimes, dont certains sont des unités de logement et des bureaux, et d’autres sont remplis de fournitures, d’équipements et de matériel militaire. Et certaines bases disposent d’aéronefs, des drones et des hélicoptères, qui ne peuvent quitter l’Afghanistan par leurs propres moyens.
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Dans l’absolu, l’armée américaine dispose des moyens nécessaires pour évacuer tout ce monde d’ici au 1er mai. Un seul C-17 peut transporter 188 passagers, ce qui signifie qu’il faut 80 à 106 sorties pour retirer 15 000 à 20 000 personnes d’Afghanistan. Même à un rythme modéré de huit sorties de C-17 par jour, environ deux semaines suffiraient à faire partir tout ce monde. L’armée américaine dispose, au total, de 223 C-17. Mais bien sûr, cette capacité brute ne se traduit pas directement par le retrait « dans l’ordre et la sûreté » que Biden a promis s’il décide de partir. Un tel objectif de réduction sûre et méthodique de la présence des États-Unis et de l’OTAN nécessite une planification sophistiquée à haut niveau et un séquençage des opérations logistiques, et tout cela prend du temps.
Dans son excellent livre sur l’expérience américaine dans la vallée de Pech en Afghanistan, The Hardest Place, paru récemment, l’auteur Wesley Morgan décrit de la sorte le retrait tactique de quelques compagnies de l’armée américaine (plusieurs centaines de soldats) d’une demi-douzaine d’avant-postes de combat dans la tristement célèbre vallée de Korengal en Afghanistan :
« Évacuer tout le monde et tout le matériel (notamment un quart de tonne d’équipements) des avant-postes devait nécessiter quatre jours, à raison de vingt vols d’hélicoptère par jour. Des rangers américains et une compagnie de commandos afghans étaient également censés veiller, en vol, à l’évacuation, pour plus de sécurité. »
Quoique court et seulement tactique, cet exemple illustre plusieurs des défis physiques à relever en vue du retrait des forces d’Afghanistan. Il montre, entre autres, l’ampleur requise des efforts de retrait (et de la planification pré-mission associée) par rapport au nombre de troupes de combat impliquées. Il illustre également les coûts supplémentaires imposés par l’exigence de sécurité permanente des troupes et des équipements sur le terrain. Il s’agit notamment des coûts réels et des coûts d’opportunité des moyens militaires (y compris le déploiement de troupes supplémentaires) utilisés pour couvrir le retrait plutôt qu’à des opérations offensives. Et cela suppose des positions sûres vers lesquelles déplacer les personnes et les équipements ainsi retirés.
La logistique d’un retrait complet
Bien entendu, les États-Unis ont déjà retiré des forces et des équipements d’Afghanistan, notamment pendant l’année 2014. Si les États-Unis ont sans doute tiré de cette expérience des leçons qui les aideront pour un retrait définitif, il y a toutefois d’importantes différences entre le retrait de certaines troupes et de certains équipements d’un théâtre de conflit et le retrait de toutes les troupes et de tous les équipements. Comme suggéré plus haut, si les analystes prennent souvent les niveaux de troupes comme référentiel, leur retrait est généralement beaucoup plus simple et rapide que celui de leur équipement. Celui-ci, et en particulier les véhicules, est lourd et encombrant, et il faut bien plus de temps pour le nettoyer et le préparer au transport inter-théâtre qu’il n’en faut pour le personnel. En outre, des contraintes juridiques empêchent les forces américaines de se débarrasser simplement des équipements et des installations qu’elles préféreraient ne pas rétrocéder. Seules certaines catégories d’équipements peuvent être transférées au gouvernement afghan, par exemple. Et pour détruire une pièce d’équipement encore en bon état de fonctionnement, l’armée américaine doit certifier qu’il n’y a aucun moyen de la réutiliser ou de la transférer ou que la destruction est l’option la plus rentable, comparaison des coûts à l’appui. Le respect de telles exigences suppose de très grands efforts et une importante coordination entre les multiples couches de la bureaucratie militaire.
Dans le cadre d’un retrait partiel, il est fréquent que l’armée retire rapidement un ensemble de troupes pour atteindre le niveau de troupes souhaité, tout en laissant une part disproportionnée de l’équipement derrière elle, que la force résiduelle peut soit démilitariser soit rétrograder. La technique de retrait privilégiée, celle du retrait « en étoile », qui fut utilisée avec succès par les forces américaines lors du retrait de 2014 où les États-Unis ont déplacé les personnes et les équipements des petites bases désormais fermées vers les grandes bases qui restaient en place (à l’instar des aérodromes de Bagram et de Kandahar), se prête naturellement à cette approche. Mais lorsqu’il s’agit de ne plus avoir de troupes (et de contractors) avant une certaine date limite, les militaires perdent la flexibilité que procure une force résiduelle, ce qui altère forcément la façon dont ils planifient et exécutent le retrait, et rend la phase finale presque systématiquement « difficile ».
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Pour quitter le théâtre d’ici au 1er mai, les États-Unis devront retirer rapidement leurs troupes et une grande partie de leur équipement. S’ils ont récemment fait l’expérience d’un retrait rapide, le retrait d’Irak en 2011, ils avaient alors la capacité de conduire et de transporter les derniers hommes et leur matériel par voie terrestre jusqu’à des bases au Koweït, où ils ont eu le luxe de disposer d’installations sécurisées pour traiter les derniers équipements retirés. Dans le cas de l’Afghanistan, les États-Unis ne seront pas en mesure de conduire le reste de leur personnel et de leur matériel dans un pays voisin. Par conséquent, le redéploiement à partir de l’Afghanistan impliquera que les troupes et le matériel se déplacent sur différentes lignes d’approvisionnement avec différents modes de transport, à des rythmes différents et avec des exigences différentes en termes de transit. Lorsque les États-Unis ont retiré leurs forces d’appoint d’Afghanistan en 2014, la plupart des troupes ont été transportées par avion directement hors du pays vers des escales régionales et vers leur station d’origine peu après. Leur équipement, en revanche, a été retiré en combinant le transport aérien au-dessus du Pakistan vers des bases américaines dans les pays du Golfe, le transport par camion à travers le Pakistan vers divers ports de ce pays, et des combinaisons d’expéditions par train et par camion à travers les États d’Asie centrale vers divers ports sur les mers Caspienne, Noire et Baltique. Ce processus, naturellement, était beaucoup plus lent et devait être soigneusement chorégraphié pour éviter de laisser des personnes ou des équipements exposés à des forces hostiles sur le terrain.
En raison de l’insécurité de l’environnement afghan, l’armée américaine ne peut pas se permettre de laisser des troupes sur le terrain sans équipement, ni de l’équipement sans troupes. Par conséquent, pour être vraiment sûr et ordonné, le retrait pourrait même nécessiter une augmentation temporaire de troupes et d’équipements supplémentaires, ralentissant encore le retrait. Lors du retrait d’Afghanistan en 2014…
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