Dieudonné est en tournée pour son nouveau spectacle: «Foutu pour foutu». Banni des grandes scènes et des grandes villes, c’est dans une grange, non loin d’Angers, que l’humoriste s’est produit récemment. Notre envoyé spécial a assisté à ce rendez-vous confidentiel, et il a bien ri.
Aller voir un spectacle de Dieudonné n’est pas une mince affaire. Tout d’abord, il faut avoir de la chance, l’humoriste se déplaçant tout le temps et partout. Une fois sa place payée, à un prix exorbitant (45 euros, quand même), il faut se rendre dans la ville concernée. En l’occurrence, pour moi, Angers, le 9 mars. Et c’est seulement quand on lit les détails de son billet que l’on se rend compte que le spectacle ne se passe pas à Angers. Du moins, pas à Angers même ! Comment lui en vouloir ? Après tout, c’est logique : toutes les salles lui sont fermées. Aucune grande ville n’accepte plus le personnage, que la presse ne présente qu’en lui accolant systématiquement l’adjectif « sulfureux ».
Moins de deux heures avant le début du spectacle, le message tombe enfin : le spectacle se déroulera finalement dans un gîte, à trente-cinq minutes d’Angers, non loin de la frontière entre la Sarthe et la Mayenne… Il nous faut donc rouler sur les petites routes de campagne, dans la nuit. Sur le chemin, on se pose de nombreuses questions : Dieudonné est-il resté actuel, ou ressasse-t-il ses vieux thèmes ? Rassemble-t-il les foules, comme à sa glorieuse époque ? Et surtout : que penser de ses excuses ?
Un gîte au bout d’une route sans éclairage
Celles-ci ont pas mal fait parler au mois de janvier. Dieudonné les a d’abord dédiées aux juifs, et dans un journal nommé Israël Magazine ! La chose a de quoi surprendre, de sa part, d’autant que ses excuses précédentes se sont faites sous la forme d’un spectacle qui avait, grosso modo, la même tonalité que les autres. Mais, dans le journal franco-israélien, on a eu une impression de sincérité. Demandant « pardon à toutes celles et ceux qu’[il] a pu choquer […], notamment à la communauté juive », il avait dit s’être laissé aller à « la surenchère » et vouloir faire la paix avec tout le monde, avant de partir prendre sa retraite dans le Cameroun de ces ancêtres, où il projette de retourner depuis quelques années.
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À notre arrivée, sur une petite route sans éclairage, un homme nous indique où nous garer. « Il faut laisser de la place pour les autres. On attend pas mal de monde », nous indique-t-il. Nous entrons alors dans le fameux gîte : l’équipe de l’humoriste s’est-elle fait passer, comme elle le fait parfois, pour une entreprise en séminaire ? Pas du tout : la responsable du site nous répond très gentiment qu’elle était bien au courant de qui il s’agissait, qu’elle a loué sa salle en connaissance de cause et elle nous assure qu’elle n’a eu aucun mauvais retour depuis. Tant mieux pour elle, alors.
Nous entrons dans une ancienne grange, joliment aménagée. L’ambiance est feutrée. Une buvette-boutique a été installée à côté de la petite scène sur laquelle est déjà placé l’éternel pupitre de l’ancien partenaire d’Élie Semoun. La salle se remplit. On comptera, à vue d’œil, 80 ou 100 personnes assises dans la grange. Dieudonné réunit tout le monde : jeunes et vieux, femmes et hommes ; ses fans sont encore nombreux, ils viennent des classes moyenne et populaire du coin. Un homme porte certes une coupe de cheveux fasciste, et un autre a carrément un air patibulaire mais enfin, Dieudonné reste un humoriste du peuple, qui rassemble à travers toute la société. Au bout d’un moment, la musique s’arrête et la lumière s’éteint : le spectacle va commencer.
Une seule blague sur les juifs
Le nom qui est sur toutes les lèvres, ce soir-là, c’est celui de Jean-Marie Bigard. À l’origine, l’auteur du « Lâcher de salopes » devait être sur scène aux côtés de Dieudonné pour cette nouvelle tournée. Mais peu de temps avant la première représentation, il a tout annulé. D’entrée de jeu, Dieudonné ne le rate pas : « C’est sûr que préserver sa carrière… À 68 ans, chroniqueur chez Cyril Hanouna, je comprends, moi… » Le thème de ce spectacle, « Foutu pour foutu », c’est pourtant bien le pardon ! Convoquant ses personnages en frottant sa « moumoute magique », Dieudonné fait se succéder sur scène un Camerounais descendant d’esclaves, un Antillais hilarant ou un Vietnamien chrétien, qu’il entend amener au pardon. Il y parviendra, avec plus ou moins de succès… C’est aussi l’occasion pour l’artiste de dérouler sa panoplie d’accents, tous très réussis au demeurant. Mais là, arrive un juif qui demande des « réparations ». Financières, bien entendu ! C’est la seule blague antisémite du spectacle, et ces vingt secondes ne font rire personne dans la grange. Le thème est usé, tous le savent bien. La vanne en question invalide-t-elle les excuses ? Pas sûr. Elle est probablement destinée à montrer aux fans de l’humoriste qu’il n’est pas devenu un « lâche ».
Foutu pour foutu
Le spectacle se poursuit, et traite de thèmes très actuels, comme l’euthanasie – qu’il a en horreur. Le passage le plus réussi restera sans doute la confrontation entre un père alcoolique et son fils fumeur de cannabis. Dieudonné est resté un excellent humoriste. Ponctuant certains moments forts par des interpellations au public, on retrouve ses traditionnels « Ferme-la à tout jamais », agrémentés de nouvelles saillies contre les spectateurs ayant eu recours au vaccin : « À la quatrième dose, ils sont beaucoup moins vifs… » Le public rit, sans culpabilité. On est entre nous, il n’y a aucune honte.
Un sketch oppose ensuite un islamiste à une transsexuelle (ressemblant un peu à… Marlène Schiappa), un autre présente un monde où des Noirs adoptent des pauvres petits Blancs et trace le long chemin d’un enfant blanc élevé au Cameroun pour retrouver ses parents qui ont changé 14 fois de genre (l’un d’eux est même devenu « trans-porc »). Dieudonné critique la GPA et les « bébés Amazon ».
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Un hommage touchant à un ami décédé et le comique tire déjà sa révérence. C’est une réussite. Si Dieudonné n’est plus à la Main d’or, s’il est banni de toutes les grandes villes de France et de Suisse, il a toujours ses fidèles. On le sent peut-être un peu fatigué. Les procès à répétition ? Mais, même fortement marginalisé, il est drôle, très drôle. À la fin, je me dis que ses excuses étaient sincères. Foutu pour foutu…