Dans une lettre publiée dans le journal franco-israélien Israël Magazine, l’humoriste Dieudonné demande pardon à la communauté juive.
Celle-là, on ne s’y attendait pas ! En 2004, l’humoriste et comédien multicondamné pour injure antisémite et contestation de crime contre l’humanité répliquait dans un spectacle intitulé « Mes excuses », où il en rajoutait dans la pitrerie antisémite, façon Shoah-ananas.
Il change de registre. Malade, il part finir sa vie au Cameroun et semble vouloir solder les comptes, faire la paix avec ceux qu’il a offensés. Il demande donc pardon à la communauté juive pour ses outrances. « Je n’ai pas réussi à la faire rire, et je le regrette », écrit-il.
En supposant qu’il ne s’agisse pas d’une nouvelle blague, ce mea culpa est un peu à côté de la plaque.
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D’abord, Dieudonné n’a pas offensé seulement les juifs mais tous les Français, et même, particulièrement les descendants d’esclaves qu’il a embarqués dans son combat douteux pour rester polie. Ensuite, son antisémitisme dépassait le registre de l’humour. En 2012, quand il présentait sa Liste antisioniste [1] avec Alain Soral, antisémite rabique, dangereux et pas du tout repenti, il ne rigolait pas. Quand il affirmait que les juifs sont des négriers reconvertis dans la banque, il ne rigolait pas. Quand il disait arracher les pages sur la Shoah des livres d’histoire de sa fille, il ne rigolait pas.
Du reste, beaucoup de gens comme Rachel Khan ou Arno Klarsfeld se montrent très sceptiques sur sa sincérité. En réalité, peu importe. On s’en fiche qu’il soit sincère ! Ce qui compte, c’est ce qu’il dit publiquement et l’effet de ses paroles sur ses partisans.
Dieudonné a été l’étendard d’un nouvel antisémitisme qui se parait d’antiracisme. Les juifs étaient haïssables en tant que racistes (on n’oubliera pas la Conférence de l’ONU contre le racisme à Durban en 2000, qui a été un festival d’antisémitisme). Il a porté à son comble la concurrence victimaire en prétendant que les Juifs voulaient être les chouchous du malheur aux dépens de tous les autres opprimés et humiliés de l’Histoire. Il a banalisé un complotisme glauque qui prétend que les Juifs dirigent le monde (qu’on a d’ailleurs retrouvé chez certains Gilets jaunes, obsédés par le passage d’Emmanuel Macron à la banque Rothschild).
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Cet antisémitisme a séduit une fraction de la jeunesse musulmane, mais aussi une certaine gauche, celle des professions intellectuelles prolétarisées, voire certains profs. Beaucoup de gens qui ne sont nullement des marginaux se prenaient pour de courageux dissidents parce qu’ils crachaient avec lui sur les victimes de la Shoah, autrement dit parce qu’ils profanaient ce que nos sociétés ont de plus sacré. Or, on peut craindre que nombre de ses partisans ne le suivent pas dans son repentir, mais au contraire qu’il les conforte dans leur vision paranoïaque – la Communauté organisée, comme dit Soral, est tellement puissante qu’elle a réussi à faire plier Dieudonné.
Cependant, j’ai plutôt tendance à penser que ses excuses sont sincères. N’oublions pas que Dieudonné n’est pas, loin s’en faut, un intellectuel, mais un artiste, au demeurant talentueux jusqu’à ce que ses obsessions malsaines viennent gâcher ce talent. Après tout, un antisémite de moins, c’est toujours ça de gagné.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio.
Retrouvez Elisabeth Lévy du lundi au jeudi après le journal de 8 heures.
[1] C’est la période où nous l’avons interviewé dans Causeur.
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