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Dieudonné dans le Mur !


Dieudonné dans le Mur !

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Je m’étais promis, un peu vite, de consacrer ce moi-ci à la religion en général, et à notre bon pape marxiste et gay friendly en particulier. Une fois de plus, hélas, j’ai été rattrapé par l’actualité.  Un diariste sérieux peut-il faire totalement abstraction de ce qui se passe autour de lui ? Ni l’étincelant Jules Renard, ni les laborieux Goncourt siamois ne s’y sont risqués avant moi. Dieu me pardonne donc, mais le pape attendra. J’ai suivi pas à pas les dossiers les plus chauds de janvier : l’affaire M’Bala M’Bala bien sûr, mais aussi les aventures extra-extra- conjugales de notre Président et mes dernières réflexions sur les Maximes de La Rochefoucauld.

M’BALA M’BALA, MÊME COMBAT !

SAMEDI 28 DÉCEMBRE 2013 | Manuel Valls rompt la trêve des confiseurs pour annoncer que « Dieudonné, ça suffit ! », en conséquence de quoi il va « tout faire » pour interdire ses spectacles.[access capability= »lire_inedits »]  « Un seuil a été franchi », explique-t-il, gravement, en référence au numéro de « Complément d’enquête » où l’on voit Dieudonné faire, sur scène, sa fameuse saillie sur Patrick Cohen.  Mais si ligne rouge il y a, ça fait belle lurette que l’humoriste l’a franchie. Le spectacle incriminé, « Le Mur », se joue à Paris depuis six mois déjà, sans « trouble à l’ordre public » au sens de la jurisprudence de l’époque (1933-2014), comme ne manquera pas de le relever le tribunal administratif de Nantes.  Quant à Dieudonné, ça fait dix ans qu’il multiplie quenelles et provo- cations, même que la plus scandaleuse date d’il y a cinq ans tout rond. Dans le genre blague antisémiste, suggérer la chambre à gaz pour Patrick Cohen, est-ce vraiment plus grave que d’en suggérer l’inexistence avec Faurisson ?  Habile, notre fantaisiste a pris d’avance ses distances avec le négationnisme du professeur : « Il ne croi- rait même pas à la chaise sur laquelle il est assis. » N’empêche que, le 26 décembre 2008, sur la scène du Zénith de Paris, il lui remet un « prix de l’infréquentabilité et de l’insolence ». Autant dire que les « dérapages » dieudonnesques, dans les milieux autorisés, tout le monde était au

courant depuis longtemps – encore plus que pour François & Julie ! Reste à comprendre pour- quoi, à l’époque, l’État n’a pas déclaré la République en danger ni même bronché, et pourquoi il tombe de l’armoire cinq ans plus tard. Certes, on peut toujours dire que notre « vivre- ensemble » s’est dégradé entre- temps ; l’essentiel, cependant, c’est qu’il y a cinq ans, le locataire de Beauvau ne s’appelait pas Valls, mais seulement Alliot-Marie. Mettez-vous à la place de Manuel, aussi : être ministre de l’Intérieur et de gauche à la fois, ce n’est pas une sinécure. Après sa sortie de septembre sur les Roms, qui a séduit à droite mais choqué dans le camp humaniste, l’occasion a dû lui paraître trop belle de se recentrer en montant au créneau contre le facho-nazo Dieudonné : « Je suis de droite, voyez les Roms Je suis de gauche, à bas Dieudo ! »

C’est comme ça qu’on se construit une image de présidentiable, pense- t-il. Ce mois-ci, les sondages lui ont plutôt donné tort, enregistrant une baisse de 6 ou 7 points dans sa cote de popularité ; mais les sondages, ça va ça vient, n’est-ce pas, sans compter que « Valls était anormalement haut », se rassurent ses amis.  Accessoirement, si j’ose, son coup d’éclat n’était pas si bien ajusté. Dans le camp de la réaction, on a pu penser qu’il en faisait un peu beau- coup, avec son combat de titans contre Dieudonné, quitte à déserter le champ de la sécurité. Et aux yeux de la gauche morale, la lutte contre l’antisémitisme, pour légitime qu’elle soit, ne suffit pas à laver de tout soupçon de racisme. Hors champ poli- tique, il s’est même trouvé des jeunes, voire des intellos, pour considérer cette affaire et la façon dont elle avait été menée comme une « atteinte aux libertés publiques ».

Décidément, les gens ne sont jamais contents. Mais bon, pas d’affole- ment ! L’échéance normale, c’est 2022. Manuel Valls n’est pas pressé, et moi encore moins.

TOUT ET SON CONTRAIRE

JEUDI 2 JANVIER (SAINT BASILE) | Jolie phrase de Montesquieu, citée par l’ami Jérôme Leroy, l’autre dimanche, sur Causeur.fr : « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé. » Hélas, pour moi, c’est l’in- verse : un vrai chagrin m’empêche même de lire. Tout juste puis-je relire mes sempiternels Jules Renard, Chesterton et Simon Leys qui, à force, sont tout dépenaillés.  D’ailleurs, beaucoup de pensées ne sont-elles pas réversibles ? C’est en tout cas ce que suggéraient mes amis parodistes d’outre-siècle, Charles Reboux et Paul Muller. Dans un volume rare, que j’ai bien sûr égaré, nos duettistes s’en prenaient aux Maximes de La Rochefoucauld (telle- ment célèbres qu’aujourd’hui, dans les salons, on croit volontiers que c’est son prénom). Eh bien, figurez-vous qu’en guise de pastiche, nos diablotins s’étaient contentés de recopier une dizaine de ces maximes en en inversant les termes ! Faisons le test au hasard, ou presque. Le moraliste a-t-il écrit : « Il est de bons mariages, mais il n’en est point de délicieux » – ou le contraire ? « Le bon goût vient plus de l’esprit que du jugement » – ou l’inverse[1. Solution du test : a. Maxime rochefoucaldienne. b. Maxime rochefoucaldienne inversée.] ? Parfois même l’exercice s’avère vain, tant l’aphorisme dit à lui seul tout et son contraire. Exemple : « En vieillissant, on devient plus fou et plus sage. » Mille pardons, mon duc, mais ne dirait-on pas déjà du Reboux & Muller ?

PAS DE CENSURE POUR LES ENNEMIS DE LA CENSURE !

JEUDI 9 JANVIER, 18H30 | Boum, la décision du Conseil d’État est tombée ! Mais pas de très haut : deux heures avant, son président statutaire, Jean-Marc Ayrault, s’était déclaré « confiant ».  Juridiquement, cette ordonnance est plutôt décoiffante. Le juge des référés avait quarante-huit heures pour statuer ; il ne lui en faudra que quatre. Au prétexte d’un arrêt de 1995 sur le « lancer de nains », il interdit le spectacle de Dieudonné à Nantes comme attentatoire à la « dignité humaine ».  Ainsi un magistrat unique renverse-t-il en urgence une jurisprudence inchangée depuis quatre-vingts ans, et particulièrement libérale en fait de liberté d’expression[2. Que la Justice ne confond pas d’ordinaire avec la liberté de lancer des nains en l’air.]. Comment ne pas penser qu’en l’occurrence, le Conseil d’État s’est plié à la volonté du pouvoir politique ? « Une victoire pour la République ! », triomphe aussitôt Manuel Valls. Allons donc ! Le rétablissement de la censure préalable, ça rappellerait plutôt l’ultime sursaut de Charles X : cette fameuse « loi de justice et d’amour » destinée, comme son nom l’indique, à museler la presse gauchiste, mais qui sonnera le glas de la monarchie légitim(ist)e. Pour le coup, je serais plutôt d’accord avec Pierre Tartakowski, président de la Ligue des droits de l’Homme, qui nous met en garde dans son style solennel : « Cette interdiction a priori ouvre la porte sur des couloirs extrêmement sombres… » Plus drôlement, Roseline Letteron, professeur de droit public à la Sorbonne, commente sur Le Point.fr : « Peut-être interdira-t-on un jour La Cage aux folles parce qu’elle tourne en ridicule la communauté homosexuelle… » Sur LCI enfin, Philippe Bilger en appelle au bon sens et à l’esprit des lois : « Il faut poursuivre tous les propos racistes et antisémites, sans pour autant jeter aux chiens la liberté d’expression. » Une victoire pour Valls, alors ? C’est l’avis des médias ; déjà plus crédible, même si dans l’immédiat, les enquêtes d’opinion disent plutôt le contraire. Une victoire pour Dieudonné en tout cas, qui a bénéficié là d’une exposition médiatique jamais vue, rattrapant en quinze jours de campagne étatique dix ans de boycottage médiatique.

Pour être franc, on ne voit même pas bien le but de la manœuvre. Interviewé sur Causeur.fr par le président Mihaely, l’internetologue Boris Beaude souligne que l’intérêt suscité par l’« ex- humoriste » sur la Toile n’a jamais été aussi grand ; sa dernière vidéo aurait été vue trois millions de fois en trois jours. Comme dirait Dieudonné en personne, « Quel est le projet ? » Le problème avec ce mec, vous me direz, c’est qu’une croix gammée noire sur fond noir, ça ne se voit pas au premier coup d’œil. Espérons en tout cas que Dieudonné, c’est pas vraiment Hitler en version bronzée, sinon on s’y est mal pris : Valls l’aura fait passer d’un coup de 23 à 32. En attendant la paille, surveillons donc la poutre. Avez-vous entendu Valls et Filipetti (ministre de la Culture, quand même) décréter una voce : « Dieudonné n’est plus un artiste ! » Et Bilger de s’indigner à juste titre : « Dans quel régime sommes-nous, où le pouvoir décide de qui est un artiste ? » Le plus épatant, dans cette affaire, c’est que l’arrêt libéral du même Conseil d’État, en 1933, concernait un authentique activiste d’extrême droite qui ne se prétendait même pas artiste, et encore moins drôle. Bref, la séparation des pouvoirs, selon le pouvoir actuel, nous ramène, assez vite et sûrement, vers le slogan terroriste : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! » Après, comme on sait, les ennemis disparaissent, et avec eux la liberté. « Au début, ils s’en sont pris à Dieudonné et je n’ai rien dit, parce que je n’étais ni noir ni même antisémite… » (etc.)  Je dramatise, bien sûr, à moins que je n’anticipe. Il n’y a pas que le caramel ; le totalitarisme mou a aussi ses dangers. L’idéal, voyez-vous, ce serait une démocratie assez représentative et forte pour entendre le peuple. Ce qu’on appellerait aujourd’hui une République.

DE LA VIE PRIVÉE DES PRÉSIDENTS 

VENDREDI 10 JANVIER |

Closer dévoile l’ « amour secret » de François Hollande. « Chacun, fût-il président, a droit au respect de sa vie privée », s’indignent aussitôt en canon ses proches, amis et alliés, au premier plan desquels le toujours excellent Jean-Michel Ribes.  En est-on si sûr ? Moi, président (même pas de la République, mais seulement de Jalons), je peux témoigner du contraire. À l’occasion de la Manif pour tous (saison 1), mon épouse et moi-même, par alliance, avons reçu sur la tronche un tombereau d’ordures que je ne vous raconte pas[3. Rassurez-vous, ça se trouve encore en trois clics sur Internet.]. Les plus grossières de ces calomnies figuraient sur un blog anonyme, lyriquement intitulé « Adieu, Frigide ! », recopié depuis lors un peu partout et néanmoins « intraçable », selon mon ex-avocat. N’importe qui peut faire pareil, à ce qu’il paraît. Il suffit de poster son poulet d’un cybercafé à l’adresse d’un hébergeur états-unien, et hop ! on peut raconter impunément n’importe quoi sur n’importe qui. En ce qui nous concerne, c’était du lourd, où cohabitaient harmonieusement cocaïnomanie, néo- paganisme, mariage intégriste et partouzes trisexuelles. Le grand écart barjotien, avec moi dans le rôle de Pina Bausch ! Mon collègue François a eu plus de chance : au moins les révélations sur sa liaison avec Julie Gayet, c’était vrai, du moins je l’espère.

J’AI HONTE D’ÊTRE FRANÇAIS, ET ABONNÉ À L’OBS

MARDI 14 JANVIER | Avec tout ça, je découvre un peu tard mon Obs blisterisé. Dommage, parce qu’avec lui, on prend tout de suite de la hauteur. Des bas-fonds dieudonnesques, ces Mongols fiers vous emmènent tout droit aux cimes de la Bonne pensée.  Le problème, c’est « La Haine », nous explique d’emblée la couverture, comme un remake en papier du film de Kassovitz, starring pour l’occasion le fameux trio antiracisémiste Soral- Dieudo-Zemmour. Ça tombe bien, la prestation de Nabe chez Taddeï vient juste de me convertir en 7’ au complotisme[4. L ’antisémitisme des imbéciles, si j’ai bien suivi.], et celui-là m’a l’air carabiné. Sur douze pages, l’hebdo nous paye un « voyage dans la France raciste » all inclusive ; même les clichés-souvenirs sont fournis. Outre nos trois têtes d’affiche, on y côtoie entre autres Renaud Camus et Finkielkraut, un maire UDI de Cholet et même « Monique, retraitée de 65 ans au Mans », qui visiblement n’a pas bien compris la question.  Leur point commun, savez-vous : le rejet de l’autre en tant qu’autre – qu’il soit arabe, juif, rom, noir, jaune ou même jeune. Eh bien, cette logique d’exclusion, Le Nouvel Obs est contre, et il ne s’en cache pas ! Pour lui, tous les hommes sont frères, y compris les femmes ; il voudrait tant que tout le monde comprenne ça, et qu’on fasse une ronde. Hélas, c’est l’inverse qui est en train de se produire : un peu partout, et sans qu’on sache bien comment ni pourquoi, « la parole raciste s’est libérée ! » Mais qui gardait la cage ?  Non seulement le racisme n’est plus « politiquement incorrect, [mais] il est devenu la doxa des temps nouveaux ». Le pire, pour le salut de leur âme, c’est que nos observateurs ne sont pas assez cons pour croire vraiment ce qu’ils racontent. D’ailleurs que disent-ils, au juste, dans ce numéro collector ? Après huit pages de gloubi-boulga où tous les méchants sont convoqués ensemble, touillés et ratatouillés, la « Haine » de la « une » fait scission : une double sur l’antisémitisme, une autre sur l’islamophobie. Et tout ça pour dire quoi, en fin de compte ? Que « le racisme, c’est mal » ? Mais ça, on savait, au moins depuis Proust. Faute de le clamer sur scène comme tout le monde, l’ami Gaspard le concède volontiers en interview, pour peu qu’il se sente en confiance.

ENFIN UNE THÈSE SUR MOI !

MARDI 21 JANVIER (221E ANNI- VERSAIRE DE LA MORT DU ROY) | Dix ans après sa dernière réédition, mon Histoire de France de Cro-Magnon à Jacques Chirac me vaut enfin les honneurs d’une (mini) thèse universitaire, mise en ligne par Leshistoriensdegarde.fr.  Ce site, tenu par les trois coauteurs du livre éponyme, s’est donné

pour mission de dénoncer les salopards qui travaillent à la résurgence d’un « roman national » aussi fictif que nauséabond, au détriment de la vraie Histoire (la leur). Et soudain, tel un Hégésippe Simon de la réaction, me voilà désigné comme leur précurseur. La classe ! Dans leur chapô, les responsables du site m’en font porter un superbe : « Une bonne partie du discours de Max Gallo, Dimitri Casali, Lorant Deutsch et Franck Ferrand est en germe dans ce livre. » Même s’il convient de recontextualiser, n’est-ce pas : « Au moment de sa sortie, en 2004, son auteur [moi] devait masquer ses outrances sous le couvert de l’humour. » Ainsi aurai-je constitué à moi tout seul « l’avant-garde des historiens de garde », ouvrant vaillamment la voie à Max, Dimitri, Lorant et les autres. Quand Zemmour sera président et Élisabeth premier ministre, ou l’inverse, j’espère avoir droit à une médaille en chocolat. Mais surtout, j’espère vivre assez longtemps pour raconter ça à mes petits-enfants[5. J’en veux au moins quatre.]. Quant à la copie proprement dite, il faut voir comment, sur trente feuillets, notre apprenti historien s’échine à décrypter cette parodie de manuel scolaire à l’ancienne pour y trouver enfin ce qu’il cherche : « les fondements du discours des historiens de garde ». Est-il vraiment gland, ce Michel Deniau, ou court-il avec des œillères pour courir plus vite ? En tout cas, sa méthode de travail est originale, qui consiste à extraire du bouquin les citations les plus épastrouillantes,  assorties de commentaires imperturbablement solennels. Le résultat, c’est du pur Bergson : du mécanique plaqué sur du vivant !  Faute de place, on ne donnera ici qu’un exemple de cet exercice. Dès la quatrième de couverture, notre futur prof d’histoire croit débusquer une phrase imprudente qui, selon lui, « permet de mettre en avant que l’ouvrage se veut sérieux sur le fond autant que fantasque sur la forme » (sic) :  Je me cite : « Basile de Koch signe ici un vrai-faux “Manuel d’histoire à l’usage des cours élémentaires” qui, compte tenu de la baisse générale du niveau, sera lu avec profit par les anciens élèves de l’ENA. » Pour l’auteur, aucun doute : ça prouve la « vocation sérieuse » de mon entreprise. Sous le masque du rire, il sent déjà la truffe, et entend aboyer d’ici la meute des « historiens de garde ». Quant à moi, hélas, j’ai bien peur de ne rien pouvoir faire pour le jeune Michel, au moins dans l’immédiat.[/access]

*Photo : Christophe Ena/AP/SIPA. AP21504341_000002. 

Février 2014 #10

Article extrait du Magazine Causeur



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