Alain Finkielkraut. Sur la couverture du dernier numéro de Causeur figure un double portrait de Dieudonné hilare, que surplombe ce titre : « drôle de rire ». À l’intérieur, on trouve un entretien exclusif que vous avez fait avec l’homme de la « quenelle » et de « Shoananas ». Cette couverture et cet entretien ont provoqué beaucoup de réactions indignées. Prenant acte de cette émotion, qui n’était pas toujours mal intentionnée, je vais vous poser quelques questions de journaliste. Quelle était votre intention en allant interroger Dieudonné avec Gil Mihaely ?
Elisabeth Lévy. Tout d’abord, il y a un principe qui vaut pour la justice comme pour le journaliste : quand on attaque quelqu’un, on lui donne la possibilité de répondre. Et j’avoue avoir du mal à comprendre qu’on nous le reproche. S’agissant du journalisme, ce principe peut souffrir des exceptions : si nous avions pensé donner du crédit à Dieudonné en l’interrogeant, nous aurions renoncé. Ceci étant, vous avez parlé de l’émotion – un peu surjouée à mon avis – suscitée par cet entretien. Admettons, mais notre premier devoir, c’est de comprendre, pas de nous laisser aller au confort de nos émotions. Toutes proportions gardées, que fait Claude Lanzmann quand il va interroger des nazis ou des tortionnaires polonais ? Il veut comprendre et nous faire comprendre. À l’inverse, on applique à Dieudonné la tactique qui a si bien réussi avec Jean-Marie Le Pen : on trépigne, on s’indigne, on s’émotionne et on ne cherche pas à comprendre. Moi, je veux comprendre. Et je veux parler aux spectateurs de Dieudonné. [access capability= »lire_inedits »]
Mais qu’y a-t-il à comprendre : Qu’il est antisémite ? Admettez que ce n’est pas un scoop !
Vous le saviez déjà, sans doute, et moi aussi. Mais tout d’abord, dans la Bible, il est indiqué que Dieu est descendu sur terre pour aller voir ce qui se passait à Sodome et Gomorrhe. Or, Dieu n’a pas besoin d’aller sur le terrain pour savoir ce qui se passe. Cela signifie qu’accuser est une chose tellement grave qu’il faut se faire une opinion par soi-même. Voilà pourquoi le Talmud enseigne que, dans un procès, on ne doit pas tenir compte d’un témoignage de deuxième main. Par ailleurs, il suffit de connaître des adolescents pour savoir que la jeunesse est massivement acquise à Dieudonné : « Mais non, il n’est pas antisémite, c’est de l’humour, du trash, il rigole de tout ! », disent ses défenseurs. Eh bien, la preuve est faite. Dieudonné parle au premier degré. Il ne pourra plus se réfugier derrière un prétendu humour, et ses admirateurs non plus.
En effet, à ceux qui disent que la séquence Dieudonné étant close, ce n’était pas la peine de la rouvrir pour faire un scoop, je réponds avec vous que le phénomène est d’une ampleur extraordinaire, notamment dans une jeunesse qui ne jure que par la liberté d’expression et qui sanctionne maintenant Manuel Valls. Je suis effarée par cette inconscience face à un phénomène que je crois assez profond et que la stratégie de Manuel Valls – qu’on l’approuve ou pas – n’a nullement enrayé. Ce n’est pas parce que Dieudonné n’apparaît pas à la télévision et qu’on ne l’interroge pas dans Le Monde qu’il a disparu ! Une partie de la population et, je le répète, de la jeunesse, est embarquée dans une sorte de sécession culturelle. Elle se défie de ce qu’elle appelle les « médias officiels ». Et que nous disent ces jeunes qui ne sont pas des marginaux ou des radicaux ? Que tout le monde tape sur Dieudonné et que personne n’a eu l’honnêteté de lui donner la parole. Eh bien, je pense que notre travail est plus utile, pour les déciller, que tous les sermons du monde.
Venons-en au contenu de l’entretien : Quand il vous dit qu’« Israël est le seul pays du monde où il y a des bus pour les noirs et pour les blancs », vous vous contentez de répondre : « On ne sait pas d’où vous tenez cette histoire d’autobus. »
Je suis flattée que cet entretien ait été lu avec un soin de talmudiste. Mais je vous rappelle que l’objectif n’était pas de montrer à quel point nous étions, nous, indignés par ses propos, mais de lui faire exposer clairement et calmement ce qu’il pense. Cela dit, je vais vous rassurer : durant la conversation, notre réaction a été bien plus vigoureuse !
Je trouve encore plus embêtant le passage où il est question de la « quenelle ». Là, on a l’impression qu’il vous balade. Vous lui demandez : « N’est-ce pas un salut nazi inversé ? » Et il répond : « C’est une calomnie inventée par Alain Jakubowicz. »
Mais enfin, c’était une interview, pas un dialogue ! Ce que nous lui avons répondu n’a en réalité aucune importance. Il faut prendre cet entretien pour ce qu’il est : un document édifiant, qui étaye l’analyse du phénomène à laquelle nous avons consacré 30 pages ! Que nos détracteurs ne se sont pas donné la peine de lire…[/access]
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