Dans la guerre de cent ans qui opposent les états hygiénistes aux fumeurs résistants, une nouvelle étape vient d’être franchie par l’agresseur schizophrène big motherien qui ramasse les taxes d’un côté et dissuade de manière de plus en plus traumatique ses pauvres enfants de l’autre, pourtant juste d’aimables usagers de l’herbe à Nicot parfois agrémentée d’herbe tout court, et qui n’avaient rien demandé à personne.
Le ministère de la Santé a en effet décidé d’illustrer les paquets de clous de cercueil par de jolies images chocs l’année prochaine. Il y a bien eu quelques escarmouches picrocholines entre les cigarettiers et diverses associations pour s’accorder sur la surface occupée par l’image mais toujours est-il que la danse macabre va commencer sur le tabac virginien et que ça va swinguer funèbre sur le paquet de gris : à nous les bouches dévastées, parsemées de chicots noirâtres comme les ruines d’un village afghan après le passage de l’aviation alliée ; à nous les poumons aux alvéoles asphyxiées, carbonisées, goudronnées comme les environs de Tchernobyl après un accident de Centrale. À nous encore, le visage crispé de souffrances de l’honnête homme soumis aux prodromes de l’infarctus comme un vulgaire détenteur de placements à risques ou un insouciant qui a mis sa fortune entre les mains de Bernard Madoff. Et tout ça, dès la première cigarette du matin, celle qui est la meilleure avec son petit choc nicotinique si plaisant, l’ancien fumeur que je suis s’en souvenant avec bonheur.
Ce sera évidemment, comme d’habitude totalement inefficace, et pour une raison simple : ce sont encore une fois des méthodes anglo-saxonnes infantilisantes qui ne peuvent pas fonctionner avec une psychologie latine, c’est à dire adulte. Nous caricaturons à peine. Ce que l’on demande à l’Etat, encore une fois, sous nos latitudes, ce n’est pas de nous dire comment faire l’amour, comment jouir, ce qu’il convient de manger, si nos enfants de treize ans ont le droit de rester ou non devant tel film ou telle émission. Ce qu’on lui demande n’est pas cette administration de plus en plus tatillonne de notre vie quotidienne, de ses plaisirs, de ses joies ou de ses deuils. Je veux pouvoir manger gras, boire sec et décider de ce qui est plus obscène pour un adolescent, à savoir un film de Bunuel ou un reportage sur une rafle de sans papiers avec le commentaire satisfait du journaliste de garde
Il ferait mieux, l’Etat d’empêcher le dépeçage des derniers Services publics plutôt que de s’occuper de qui est dans mon lit, de comment je m’y prends et si on fume après (je ne sais pas, je n’ai jamais regardé…). Il ferait mieux, l’Etat, de s’occuper de la sécurité dans les quartiers que de légiférer sur la teneur en sel des aliments de toute manière trafiqués par l’industrie agro-alimentaire. Il ferait mieux de nationaliser les banques pour réorienter le crédit vers l’investissement dans l’économie réelle que de fantasmer sur les conduites à risques de toute une jeunesse avec la drogue, conduites à risques dont il a par ailleurs largement sa part dans le climat dépressif qu’il a partout instauré.
Et puis, pour cette question du tabac, comme pour tant d’autres, c’est bien mal connaître les adolescents que de penser que des photos gore les empêcheront de passer à l’acte en achetant leurs premiers paquets. C’est tout le contraire : je ne parle même pas ici de cette attirance pour la transgression que l’on a tous connue mais tout banalement de l’ « effet collection », genre images Panini de l’horreur :
– Oh allez, sois sympa, je t’échange mon cancer de la mâchoire contre ton insuffisance coronarienne !
– Tu rigoles, je l’ai déjà en double. En revanche, si t’as la pyrrhole alvéolaire, je veux bien…
Quant aux fumeurs de cigares, eux, on ne viendra évidemment pas les embêter avec ces horreurs. La lutte des classes, comme le diable, se niche aussi dans ce genre de détails. Le trader amateur d’un bon Hoyo de Monterrey ne sera pas importuné par la propagande sanitaire. C’est vrai qu’en théorie, il n’avale pas la fumée.
Seulement les bonus de fin d’année.
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