La chasse n’a pas bonne presse, c’est le moins qu’on puisse dire. Un écologisme bobo s’est imposé dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, par une doxa un rien oppressante. Bruno de Cessole, lui-même chasseur émérite et rédacteur en chef de Jours de chasse, a décidé de ne pas laisser persister plus longtemps le malentendu. Il consacre à sa vieille passion un Petit roman de la chasse qui tient plus de l’introduction sentimentale que du traité didactique. Il s’agit de s’adresser à un lecteur sans préjugé et d’en finir avec les idées reçues qui ont toujours eu, en la matière, la vie dure : « Dans son Dictionnaire des idées reçues, Flaubert écrivait, à l’article « Chasse » : « Excellent exercice que l’on doit feindre d’adorer. » » Une version actualisée prendrait l’exact contre-pied : « Exercice barbare et honteux. Se devoir de tonner contre. »[access capability= »lire_inedits »]
Le chasseur : amoureux, rebelle et métaphysicien
Le chasseur est une figure en voie de disparition : il concentre en lui, quand bien même ce serait à son insu, les figures plus franchement de saison de l’amoureux, du rebelle et du métaphysicien.
L’amoureux, le chasseur lui emprunte souvent son vocabulaire, à moins que ce soit le contraire. Dans la traque, l’attente, l’immobilité, l’élan soudain, les moments privilégiés comme l’aube ou le crépuscule si joliment décrits par Cessole, il y a d’évidentes et séduisantes analogies. Sans compter ce que l’auteur appelle le « paradoxe du chasseur » et « qui postule que l’amour éprouvé pour le gibier ne trouve sa conclusion que dans la mort qu’on lui inflige », ce qui n’est pas sans rappeler l’économie propre à nos tragédies classiques.
Quant à la figure du chasseur comme rebelle, elle est présente dans ce recours aux forêts théorisé par Jünger, refuge à la fois symbolique et réel où l’homme fuit le règne de la technique et de la quantité. Et Cessole d’évoquer la figure de Thoreau qui, réfugié dans les bois de Concord pour fuir l’état de son temps, est devenu à la fois la figure de référence des libertariens et des écologistes radicaux tout en étant… un chasseur acharné.
Métaphysicien enfin : la chasse suppose la mort de l’animal et renvoie très fortement à la sienne propre en suscitant des méditations que l’on a rarement l’occasion de connaître devant un écran, puisque c’est ainsi désormais que les hommes vivent. La chasse invite aussi à ce que l’on pourrait appeler une diététique des instincts : elle nous oblige à penser ce qu’il y a de plus primitif et de plus archaïque en nous et à le surmonter ou à l’exorciser par le rituel, la règle, la coutume – somme toute ce qui forme une assez bonne définition de ce qu’est la civilisation.
Comme Bruno de Cessole est également l’écrivain et le critique littéraire que l’on connaît, il nous livre quelques récits de parties de chasse tracés à la pointe sèche et il nourrit ce Petit roman de la chasse d’une multitude de références qui ne sont pas là pour appuyer un plaidoyer pro domo mais pour montrer, comme une évidence, que la chasse appartient à la civilisation elle-même et fut la grande affaire d’écrivains aussi divers que London, Tourgueniev, Rigoni Stern, Ortega y Grasset, Maupassant ou Hemingway.[/access]
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