Avertissement : Certains lecteurs à cheval sur l’étiquette s’étonneront peut-être du ton inhabituellement familier de cet entretien. Qu’ils sachent qu’avec Didier Super, le tutoiement est obligatoire et la tenue débraillée exigée.
Propos recueillis par Daoud Boughezala
Causeur. Cet été, la direction de Canal+ nous a offert un feuilleton pas piqué des vers. Sitôt que la rumeur a couru que Vincent Bolloré voulait évincer Les Guignols de la grille de rentrée, tous les politiques ont dénoncé une odieuse censure et ont finalement obtenu leur maintien à l’antenne en crypté. Que t’inspire le sauvetage des Guignols par ceux qu’ils sont censés épingler ?
Didier Super. Déjà, si Bolloré choisit de rendre payante une émission qui remporte un tel succès en « gratuit », cela correspond à une certaine philosophie de la vie ! Quant au petit monde de la politique, apparaître aux Guignols permet des petits coups de pub tout en restant éventuellement à la maison à faire des crêpes : pour être élu, peu importent tes idées, tes opinions, il faut passer à la télé, point barre. C’est même pire que ça, si tu fais de la politique et que t’as pas ta marionnette, t’es un plouc ! De là à s’insurger contre une atteinte à la liberté d’expression… Je ne pense pas que les marionnettes fassent grand mal à nos politicards. Par contre, elles sont symboliquement importantes en ce qu’elles portent l’illusion d’une liberté d’expression démocratique.
Autrement dit, on nage en pleine subversion autorisée ! Et les humoristes appointés par France Inter représentent-ils une sorte de comique d’État ?
J’écoute assez peu les humoristes à la radio, la vie est trop courte pour passer du temps à ça, mais je suis certain qu’un humoriste réellement dérangeant risque de beaucoup galérer à trouver du boulot sur une « radio d’État » ! Ce qui ne veut pas dire que tous les humoristes qui n’y passent pas aient le talent de la subversion !
J’ai la nette impression que l’humour tendance Canal ou France Inter s’en prend aux cibles les plus faciles : l’Église catholique, Nadine Morano, Le Pen, les méchants racistes. Toi-même, ne sombres-tu pas dans la facilité lorsque tu traites les curés de pédophiles ?
Je me trompe peut-être, mais il me semble que ces cibles marketing dont tu parles ne représentent qu’une partie de mon gagne-pain. D’ailleurs, si je me cantonnais uniquement à celles-ci, commercialement, ce serait sans doute un meilleur calcul pour ma carrière, faut que j’y réfléchisse !
Mais je ne vais quand même pas me priver d’aborder les relations sexuelles ecclésiastiques de peur de passer pour un artiste « convenu » auprès de l’intelligentsia parisienne. Si un sujet me touche, je l’aborde uniquement parce que j’en ai envie. D’autant plus qu’aujourd’hui encore, des gamins se font bousiller le trou de balle parce que nos curés n’ont toujours pas le droit de se vider légalement les couilles, c’est-à-dire de se marier, et ce depuis des siècles et des siècles (amen !). Tout ça pour quoi ? Pour qu’ils n’aient pas de descendance. Ainsi, à chaque curé qui décède, c’est maman l’Église qui hérite ! Ça n’est qu’une théorie, mais elle me plaît. Ceci dit, il ne faut surtout pas se prendre pour un héros en mettant ces choses-là sur le tapis. Ça fait du bien, mais ça ne mérite pas autant d’applaudissements !
La preuve, nous sommes à la communauté chrétienne œcuménique de Taizé, à quelques kilomètres du Creusot où tu as chanté hier. Bien qu’entouré de croyants, tu peux dauber tranquillement sur la religion, ce qui ne serait pas forcément possible à la sortie d’une synagogue ou d’une mosquée. Tu m’as dit avoir filmé un ami qui se promenait avec Charlie Hebdo sous le bras dans un quartier musulman d’Inde. N’est-il pas beaucoup plus courageux que toi ?
Je ne sais pas si ce serait si compliqué de faire ce qu’on fait là devant une mosquée ou une synagogue, il faut essayer, je te trouve plein de préjugés. Après, si je devais citer les artistes à côté desquels je trouve que je suis un lâche, je pense que la liste serait longue, et celui-ci en ferait partie.
Tu sais, plein de fois, on m’a promis le casse-pipe, par exemple quand je suis allé faire mon spectacle à l’Institut français de Casablanca, et qu’il a fallu faire chanter « Le Coran c’est moins bien que la Bible » à des femmes voilées. Ou la fois où je me suis rendu en Nouvelle-Calédonie, chez les Kanaks, alors que je venais de recevoir plusieurs centaines de menaces de mort à cause d’une vidéo de « promotion » sur fond de bananes et de singes !
En Inde, avec ce même copain, on a demandé à des barbus comment enfiler une burqa. Jusqu’à ce que l’un d’eux nous fasse une démonstration. Eh ben, bizarrement, on est toujours vivants ! Et à Sète, on s’est amusés à faire une partie de pétanque avec trois copines habillées en burqa pour scruter les réactions des gens.
… mouais, histoire de titiller les autochtones chauffés à blanc contre l’islam et l’immigration plutôt que de tester la tolérance des banlieues ou des bourgeois de gauche ?
Et alors ? C’est intéressant de titiller l’autochtone pétanquiste du sud de la France ! Outre le côté amusant qu’il y a à observer les visages circonspects d’une population honnête et droite qui assiste à une partie de pétanque entre trois nénettes en burqas noires et un pauvre con, je trouve ça chouette de montrer le racisme de base dans sa fragilité et sa sensibilité. Il serait temps qu’on arrête d’avoir peur de cette population aux opinions livrées en kit par ses écrans plats. On a simplement affaire à des gentils pauvres cons en manque de câlins paternels et qui n’ont jamais eu la chance d’apprendre que, quand on rencontre des difficultés dans la vie, il faut d’abord s’en prendre à soi-même… Après, le jour où j’aurai une bonne idée à filmer à Villiers-le-Bel, il faudra bien trouver une solution… mais heureusement, j’en ai pas !
Et chanter « Les Arabes, c’est comme les lesbiennes et les drogués, les romanos, comme les artistes et les putes (…). Y en a des bien » lors de grands barnums antiracistes, n’est-ce pas une façon de te la jouer rebelle alors que tu grattes dans le sens du poil ?
Tu penses que je devrais être plus sélectif quant aux endroits dignes de mon art ou pas ? Belle mentalité ! Je mets toujours un point d’honneur à préciser, aux organisateurs en amont du concert et au public une fois sur scène, que si je suis là, c’est avant tout pour ma promotion, et je remercie toujours la cause à combattre car, sans elle, le spectacle n’aurait jamais lieu. Ça s’appelle de la conscience professionnelle !
Si dans ce genre d’événements certains artistes confondent démagogie et héroïsme, c’est leur problème. À Paris, j’ai participé à un concert antiraciste qui, au fil de l’après-midi, a gentiment viré au racisme antiblanc. C’est mignon, c’est pas abouti, ça cherche… Malgré tout, j’aurais eu plus de mal à offrir mon soutien à des rassemblements néonazis.
Sans aller jusque-là, avec ton habituel sens de la provoc, irais-tu chanter un couplet gauchiste dans un grand barnum organisé par l’UMP ou quelque autre mouvement de droite ?
Je pense que mon métier d’artiste s’exerce le mieux partout où il y a des pauvres cons. Je crains que les endroits que tu cites n’en soient pas dépourvus. Comme dit ma mère : « Les gens qui aiment tes spectacles, c’est grâce à eux que tu bouffes, et ceux que ça fait gueuler, c’est à eux que ça profite le plus ; au moins ils s’en souviennent longtemps, et en plus, ça leur fait un sujet de conversation ! »
Serais-tu prêt à jouer dans une ville FN ?
Bien sûr que j’irais jouer dans une ville FN, qu’est-ce que c’est que ce racisme !? Je joue bien déjà dans des villes PS !
Et tu te fais inviter par la CGT. Tu as beau essayer de t’en défaire, l’étiquette « degôche » te colle à la peau comme le sparadrap du capitaine Haddock…
Qu’on soit clair, je suis intermittent du spectacle, et un intermittent, c’est un chômeur, et un chômeur, c’est de gauche. Par contre, si le chômeur gagne au loto (parce qu’on sait qu’il ne retrouvera jamais de boulot), il passe à droite. Le même chômeur, boulot ou pas, s’il se fait cambrioler deux fois, passera à l’extrême droite. C’est le plus souvent notre contexte qui fait nos opinions. Donc, forcément, j’ai plus de sympathie pour la CGT que pour le Medef. Ça ne m’a pas empêché ce jour-là de demander en arrivant sur scène : « Ici, c’est le FN ou la CGT ? Parce que je fais les deux sur deux jours d’affilée et je ne sais plus… » On ne peut pas dire que cette représentation pour la CGT de Belfort fut une réussite idéologique, donc… mission accomplie !
As-tu conclu de tes mésaventures que le militant, de quelque bord que ce soit, était hermétique au second degré – pour ne pas dire limité… ?
J’ai été moi-même militant en 2003, lors des premiers mouvements d’intermittents du spectacle. J’ai fini par me sentir comme un témoin de Jéhovah, à essayer de convaincre le monde, à commencer par moi-même. Dans ces moments-là, t’es tellement concentré à essayer de comprendre ce que tu dis qu’il n’y a plus de place pour le second degré. On ne peut pas faire de raccourci en allant jusqu’à dire, comme le professeur Choron, que les militants sont tous des cons, mais bon… (rires)
J’ai découvert une vidéo dans laquelle tu chantes « Petit anarchiste, casse-couilles pour vieux (…) un jour toi aussi t’auras des poils » devant un public de jeunes punks à chiens. De même, il paraît que des skins se glissent parfois dans ton auditoire. Qu’y a-t-il de pire : être applaudi par des demeurés racistes ou par des demeurés antiracistes ?
Bah ! Avec ou sans cheveux, un mongol reste un mongol ! Ce qui me désole vraiment, c’est quand en plus ils arrivent à ne pas payer leur place ! Plus sérieusement, je me fous de savoir qui j’ai en face de moi. L’essentiel, c’est que le public ne ressorte pas de la salle dans le même état qu’il y est rentré. Généralement, le punk à chien ressort en me traitant de facho et le skinhead de gauchiste.
Puisqu’on parle de militants endoctrinés, il en est de particulièrement virulents : les dieudonnistes. Ces derniers ont essayé de te récupérer en diffusant l’une de tes saillies contre les antifas. En dehors de toute considération politique, que penses-tu du comique Dieudonné ?
Il y a quelques années, j’aimais bien l’idée que Dieudonné fasse parrainer sa fille par Le Pen et réponde avec beaucoup de finesse, quand on lui demandait si cette histoire était vraie : « Est-ce qu’un magicien dévoile ses tours ? » Se limiter à gueuler contre Dieudonné en criant « Dieudonné, il est pote avec Le Pen ! », cela manquait un peu de profondeur. Lorsque j’ai appris que, sans me demander mon avis, Dieudonné avait utilisé le texte d’une de mes chansons – Rêve d’un monde – aux européennes de 2009, je n’ai pas réagi car je m’entretenais encore dans l’illusion que sa liste « antisioniste » était une blague. Après l’affaire Clément Méric, Dieudonné a réalisé un entretien avec le skinhead Serge Ayoub, champion de France de ratonnade, auquel il a serré la main en lui disant : « On a le même ennemi. » Le tout se termine par un morceau d’entretien où je critique les antifas. Le souci, c’est qu’ils ont omis de laisser le petit moment où je donne mon point de vue sur le skin de base d’extrême droite. Forcément, j’ai râlé ! Aujourd’hui, j’ai l’impression que Dieudonné adopte un discours volontairement flou à la manière d’un horoscope, histoire de ratisser large et ainsi de remplir ses Zénith à 43 euros la place.
À quel moment as-tu désespéré de Dieudonné ? Lorsqu’il a remis le prix de l’infréquentabilité à Faurisson ?
Je n’ai ni espéré ni désespéré de Dieudonné. Disons que je lui accordais le bénéfice du doute. En 2007, il avait lancé : « Vous diabolisez Le Pen mais vous allez élire Sarkozy », une phrase sur laquelle je me disais qu’il fallait méditer. Un jour, je suis allé écouter pendant une heure ce qu’avait à dire Faurisson et je l’ai trouvé d’assez mauvaise foi et pas très rigolo. Or, l’humour est souvent une preuve d’intelligence.
Sans mauvais jeu de mots, Dieudonné a-t-il tué l’humour noir par ses sorties antisémites à la ville ? J’imagine mal le célèbre sketch de Desproges sur les Juifs passer aujourd’hui sans que les associations antiracistes réclament un nouveau procès de Nuremberg…
Desproges, s’il était encore en vie aujourd’hui, pourrait peut-être se permettre de garder le même ton. Son esthétique verbale sans faille a su crédibiliser son mauvais esprit auprès du boboïsme façon Télérama. C’est peut-être ça qui l’a tué, d’ailleurs. Néanmoins, il aurait sans doute du mal à démarrer sa carrière aujourd’hui. Je peux témoigner que dans certains de mes spectacles, que j’essaie pourtant de monter avec clarté et ce que je peux d’intelligence, j’ai eu des alertes, parce qu’à certains moments je prononçais le mot « juif ». Des gens de Radio Shalom sont même venus vérifier mes intentions au Point-Virgule. Résultat : ils sont restés pour me dire merci. Ouf ! Comme quoi… !
Cela te rend-il optimiste quant à l’avenir de l’humour français ?
L’humour français de qualité existe. Seulement, on ne le montre pas dans les médias puisqu’il n’a rien à vendre. Je pense à des gens comme la Compagnie Cacahuète, Arnaud Aymard, Guy Zollkau du Théâtre de Caniveau, Seb Barrier, les Qualité Street, Freddy Coudboul, Jackie Star, Fred Tousch, Maria Dolores, Bonobo Twist, les Tapas, Raymond Raymondson, Filloque, Le Bestiaire à pampilles, j’en passe, et des dizaines d’autres aux propositions artistiques singulières et très drôles. Il faut les classer dans la catégorie « ARTISTE », à ne pas confondre avec « VEDETTE ». L’un puise son inspiration dans le cosmos. Pour l’autre, l’inspiration est commandée par l’industrie. L’un n’aura pas d’autre ambition que de transformer un bout de trottoir en théâtre. L’autre ambitionne de se faire construire une piscine. L’un bouscule volontairement les gens par amour. L’autre recherche l’amour des gens pour exister, tout en étant capable de les détester !
Avec un peu de cynisme, on pourrait te répliquer que le carriérisme et la cupidité à la ville n’empêchent pas d’être désopilant sur scène.
Je te laisse avec tes goûts ! Je dis juste que quand on monte sur scène avec l’ambition de faire une belle carrière, il vaut mieux aborder des thèmes comme le GPS, les émissions de téléréalité ou le gros cul de ma voisine belge. Un spectacle qui « bouscule » n’a presque plus sa place dans le paysage culturel institutionnel, alors que c’est là qu’il devrait précisément se trouver. Aujourd’hui, il est plus facile de diffuser du divertissement (Les homos préfèrent les blondes, Ma coloc est une garce, etc.) ou alors de la « grande culture ». Je pense aux spectacles vus au « in » d’Avignon que le festivalier applaudira debout de peur de passer pour un idiot pour n’avoir rien compris à la pièce – et pour cause, y a rien à comprendre, c’est du contemporain, donc potentiellement de l’escroquerie. Picasso aura fait des petits dans ce domaine !
Laisse Picasso tranquille ! Que pensent les cultureux de tes propres impostures ?
Des journalistes et des programmateurs culturels assistent régulièrement et gratuitement à mes représentations. Généralement, ils s’amusent. Pas tous, heureusement pour la France, certains d’entre eux ont du goût ! Mais souvent, j’ai droit au couplet : « Moi je peux comprendre, mais mon public, mes lecteurs, je ne garantis pas… »
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*Photo: Emma Rebato.
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