Monsieur Nostalgie nous parle de Didier Kaminka, acteur, dialoguiste, scénariste et réalisateur disparu en septembre dernier qui fit les grands soirs de la comédie française à la télévision et au cinéma.
La comédie est le parent pauvre du cinéma. C’est elle qui fait bouillir la marmite et lorsqu’il s’agit de lui rendre hommage, ne serait-ce qu’un billet doux en remerciement pour le travail effectué, plus personne ne répond à l’appel. La reconnaissance du ventre est bien timide dans notre pays. On lui tourne le dos par peur de se salir l’esprit. Sans gêne, les médias prescripteurs préféreront toujours encenser un obscur réalisateur des nouvelles vagues successives, au néo-réalisme poisseux et victimaire, le genre donneur de leçons et terreur des studios, financé par nos impôts pour mieux caricaturer notre populisme franchouillard. Le masochisme de l’exception culturelle ne connaît pas de limite en France. Et pourtant, quand on interroge le public sur ses goûts profonds et ses souvenirs de longs métrages, il ne puise pas sa réflexion dans une encyclopédie pesante mais dans les classiques du dimanche soir.
L’humour d’antan
Tout de go, il se rappelle des Ripoux et des Sous-doués avec une certaine volupté et malice. Son visage s’illumine, la gaudriole et la farce ne lui déplaisent pas, la tradition vient de loin, de Rabelais et de Molière. L’absence de sérieux est encore la plus belle marque que peut montrer un peuple civilisé à la face du monde. C’est là, dans la débandade des deux branques encagoulés (Jugnot et Auteuil) de l’inénarrable Pour cent briques, t’as plus rien que se niche cette satanée identité française et non sur le fronton des Hôtels de ville. Le creuset de notre nation se trouve dans Philippe Noiret se « prenant » une balle dans le bide pour sauver la mise à son collègue ou dans Guy Marchand chantant Destiné dans un « love-computer » de stations balnéaires.
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Si les élites sont incapables de comprendre cet élan salvateur vers le divertissement, elles ne peuvent plus rien pour nous. Le lien est définitivement rompu. Il y eut, par le passé, La Grande Vadrouille et Le Corniaud, ces deux bornes tutélaires ont plus soudé les familles dysfonctionnelles que les déclarations d’un sous-secrétaire d’État à la cohésion sociale. Puis dans les années 1980, il y eut la patte Didier Kaminka (1943-2024). Il fut de toutes les aventures comiques de la décennie, dans l’ombre de Claude Zidi, Édouard Molinaro, François Leterrier, Christian Gion ou Pierre Richard. À la manœuvre, en tant qu’acteur ou réalisateur, complice de Georges Beller et de Luis Rego, il avait gagné la bataille idéologique chez les adolescents de ma génération en imposant un humour décomplexé et bon enfant qui avait vocation à faire marrer, sans se soucier des différences, sans la peur de blesser ou d’outrager l’Autre. Le drame de notre époque où la moindre remarque est perçue comme une remise en cause de la personne humaine. Cette liberté d’expression qui n’était aucunement revendiquée comme un acte militant ou politique paraît aujourd’hui un asile lointain. Nous avons la nostalgie de cette déconne qui était un bien commun partagé par tous et où le second degré était inhérent à l’art de la conversation et l’autodérision, une forme avancée de politesse. Tout n’était pas pris au drame et au larmoyant.
Un artiste tout terrain
Coluche en roublard de « Planète assistance » ou en inspecteur catastrophe serait perçu seulement par nos effarouchés du moment comme un grossier personnage, alors qu’il était un clown à deux faces, à la fois hilarant de veulerie et ultra-sensible dans sa solitude.
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Didier Kaminka, yeux bleus et cheveux ébouriffés, était un acteur lunaire et un artiste tout-terrain, avec une large palette allant de l’emmerdeur irrésistible sur grand écran à l’artiste contemporain. L’un de ses touche-à-tout, pouvant jouer la comédie, réaliser un film, écrire sur commande et peindre un tableau « pop déstructuré ». Parmi sa filmographie, j’ai un faible pour Association de malfaiteurs et cette réplique magique de François Cluzet : « Je gagne 10 briques par mois, qu’est-ce que j’irai voler une mob pourrie ? ». En passant derrière la caméra, il réalisa notamment Promotion canapé qui mérite d’être réhaussé par la critique, avec la très talentueuse actrice Margot Abascal et A quoi tu penses-tu ? avec Richard Anconina dont la bande-annonce est absolument à voir sur YouTube. Et si ça ne suffisait pas de vous convaincre, Kaminka a été au générique d’un épisode (Week-end à Deauville) de la série Sam et Sally avec Georges Descrières et Corinne le Poulain. Il est donc intouchable !
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