La lettre sur les chauves (Les éditions Ovadia) de Didier Desrimais place la sociologie sur le fil du rasoir
Ce livre n’est pas une dystopie, ni une uchronie, c’est un essai d’anticipation !
Par le recours à l’arsenal conceptuel et linguistique chéri par une frange hurlante de la «sociologie» moderne, Didier Desrimais esquisse un portrait-miroir des dérives doctrinales que les sciences sociales connaissent. Contributeur régulier du site Causeur.fr, l’auteur nous offre, dans un ouvrage au style sans chaînes, un ironique manifeste «chauviste» où les absurdités s’enchaînent.
La seule différence avec les chercheurs qu’il dénonce ? C’est que ses absurdités sont volontaires.
La sociologie contre la sociologie
Le syntagme de «l’arroseur arrosé» est le plus apte à illustrer la démarche cimentant un ouvrage dont les raisonnements utilisés laissent à penser que l’auteur connaît bien son sujet. Et ce, non pas en raison de sa non-capillarité, mais plutôt par son apprentissage des singularités du langage sociologique. Ici, le sujet ne regarde point la «chauvité» ni l’alopécie en général, mais bien les outrancières dérives d’une discipline hantée par le spectre ternaire «genre, race, classe».
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Desrimais part de cet indéniable constat : le siècle que nous connaissons est celui de la libération d’un nombre exponentiel de paroles, mais une catégorie manque à l’appel, est encore ostracisée et écartée du banc des minorités officielles : les chauves. L’auteur arrime son instinct vitupérant en cet endroit, et recouvre, sans doute, sa perplexité sur la marche actuelle de la sociologie intersectionnelle, d’un drap ironique et humoristique, pour châtier les mœurs en riant. Castigat ridendo mores…
Pourtant, la forme ne saurait être plus sérieuse, plus péremptoire, plus convictionnelle, en un mot, plus contestataire. Il n’est pas improbable d’ailleurs que l’opuscule tombe un beau jour entre les mains d’un déconstructeur zélé, affamé de victimes, qui s’indignerait de lire que la chauvophobie existe, qu’elle s’immisce et se transmet par toutes les modalités de représentation du monde, dans l’art, la littérature, le cinéma, la presse, la télévision, la langue, et au fond, dans les stéréotypes capillaires ! Il faut «revisibiliser les chauves», contre «l’ordre capillaire» écrit l’auteur. Ceux qui prendront au sérieux ce livre, sont précisément ceux dont il moque l’absence de sérieux.
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Chauvisme, chauvité, chauvophobie et lutte contre l’ordre capillaire
La substance de cette «lettre» est donc une satire échevelée contre l’hyperdogmatisme des théories sociologiques qui n’ont pour matrice sémantique que les mots auxquels sont adjoints les délicieux suffixes en «phobes». La fièvre obsidionale est ici poussée à son acmé, car, après avoir énoncé toutes les luttes intersectionnelles révélées par ce bon samaritain qu’est le XXIe siècle, Desrimais s’assigne la lourde tâche de défendre cet objet de toutes les gausseries non-chauvistes que sont les chauves, jamais dignement représentés, mais toujours persécutés par l’oppressive suffisance des chevelus… L’angle d’attaque est pertinent d’impertinence, et incarne un procédé dialectique bien connu de la rhétorique : grossir les propos de sa cible constitue un des meilleurs moyens de révéler ses failles. Cependant, la dimension tragique de ce livre réside dans ce que l’auteur n’exagère point. Il se borne à employer les mêmes discours qu’il tourne en dérision, et les fait simplement porter sur un sujet inédit, à savoir la condition chauve.
L’auteur, qui se coiffe des attributs du sociologue, respectant la neutralité axiologique et la droiture que lui impose son auguste science, reprend à son compte toute la phraséologie habituelle qui découle des foisonnants travaux actuels. Il manie une sémantique manichéenne et intransigeante dont certaines chaires de sociologie se font les mégaphones, enclines à parler de «blanchité» ou encore de «privilège blanc» et autres baroques constructions verbales. Ainsi se livrent bataille les termes novlangagiers de «lutte anti-capillariste», «péladophobie», «chauvisme», «acapillaire», «chauvisme intersectionnel» ou encore «d’égalité chauves/non-chauves».
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En ultime lieu, après avoir évoqué en neuf chapitres le concept de «chauvité» ou encore la déconstruction des «stéréotypes capillaires», Desrimais dresse, guidé par une espérance touffue, des éléments de propositions d’actions afin d’inclure les chauves dans une méchante société qui les malmène. Parmi elles, figure la suppression des accents circonflexes, car en effet, ils exercent une violence symbolique : en coiffant certaines lettres, cela est discriminant. Il faudrait également réécrire l’histoire, réformer l’éducation des enfants, les sensibiliser aux problématiques chauvistes, dédier des espaces sécurisés aux chauves, brûler les perruques etc. En somme, déplumer le monde entier !
Face à cette drolatique insolence, les activistes modernes sont en peine. Assurément, ne pas considérer les chauves et la capillarité comme véritables objets de recherche, c’est montrer l’arbitraire qui règne dans leurs critères de sélection, mais prendre ce livre au pied de la lettre, c’est dévoiler leur inconséquence. Un livre que l’on recommande, et qui tombe comme une mèche, dans la soupe sociologique !
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