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Vous avez dit populismes?

Les Editions du Cerf publient un "Dictionnaire des populismes"


Vous avez dit populismes?
Matteo Salvini au rassemblement annuel de la Lega, Pontida, 15 septembre 2019 (c) Miguel MEDINA / AFP

Christophe Boutin, Olivier Dard et Frédéric Rouvillois signent un passionnant Dictionnaire des populismes. De Salvini à Michéa, des personnalités fort diverses gratifient le peuple d’une supériorité intrinsèque. On aurait tort de les diaboliser à priori.


Les peuples font leur grand retour sur la scène politique et en guise de bienvenue, un mot leur est adressé, destiné à faire trembler dans les chaumières : Populisme ! Le populisme est en effet ce chiffon rouge agité par les progressistes afin de s’éviter toute remise en question, de flétrir par avance, c’est-à-dire, avant toute considération, les aspirations que les peuples osent enfin formuler haut et fort et de délégitimer quiconque a la faiblesse d’en reconnaître la pleine légitimité. Populiste serait ainsi celui qui ne conspue pas le besoin d’enracinement, le besoin d’inscription dans une histoire et dans un lieu, l’attachement et la fidélité à des mœurs, à un mode de vie, à la physionomie d’un pays. Le philosophe Ortega y Gasset parlait d’un droit de l’individu à la continuité historique, mais aujourd’hui, sous le double assaut de la mondialisation financière et de l’islamisation, ce sont les peuples qui réclament le droit à la continuité historique, le droit de persévérer dans leur être, dans leur identité unique et insubstituable. Le populisme européen, dit Philippe de Villiers croisant le fer avec un président Macron fulminant contre la « lèpre » nationaliste et populiste, c’est le « cri des peuples qui ne veulent pas mourir ».

Comme le mot « impressionnisme » en son temps, forgé pour disqualifier les jeunes et hardis Pissarro, Monet ou Renoir et dont ils se firent finalement un titre de gloire, les partis, les leaders estampillés « populistes », Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen en France, Matteo Salvini en Italie, ont dit « soit ! », acceptons l’épithète, relevons le défi.  Plus récemment encore, et plus intriguant aussi, le mot est volontiers adopté par certains esprits qui font profession de penser, soucieux de comprendre avant de haïr, et qui même sont tout à fait acquis aux insurrections populaires qui se lèvent à travers le monde, comme le journaliste Alexandre Devecchio dont le dernier essai Recomposition est sous-titré « Le nouveau monde populiste » (Editions du Cerf). La thèse qu’il défend est très forte puisqu’il ne suggère rien de moins qu’une recomposition politique qui se ferait autour des propositions portées par les dits populistes.

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Le doute alors s’immisce. Serait-ce que le populisme n’est pas nécessairement synonyme d’antiélitisme, d’anti-intellectualiste, qu’il ne représente pas fatalement une menace, un péril pour la démocratie, contrairement à ce qu’on nous serine à longueur de temps ?  Bref que les images que nous associons spontanément au mot populisme sont davantage fruit de la paresse et de l’ignorance que de l’instruction ? Le dossier mérite donc d’être rouvert.

Et c’est précisément ce que nous permettent Christophe Boutin, Oliver Dard et Frédéric Rouvillois avec la publication du Dictionnaire des populismes pour lequel ils ont sollicité des spécialistes et des intellectuels venus de tous les continents et de toutes les disciplines. La forme du dictionnaire est assurément la forme idoine pour appréhender un objet qui ne se laisse pas enserrer dans une définition, qui ne cesse de changer de visages au gré du temps et de l’espace, bref qui se conjugue au pluriel ainsi que le titre l’indique d’emblée. C’est la première grande leçon à retenir de cet ouvrage et que doivent entendre ceux qui ont choisi de réintroduire le mot « populisme » pour réveiller les fantômes du boulangisme ou du poujadisme : il n’est pas deux populismes qui se ressemblent, le populisme en soi n’existe pas, le populisme se dit en plusieurs sens, en une infinité de sens, en autant de sens qu’il y a de peuples, et même au sein de chacun des peuples, il se reconfigure au fil des circonstances.

Le peuple avant tout

Cependant, même s’il s’agit de faire briller les multiples facettes de l’objet et d’envisager le phénomène dans l’ampleur et la variété de ses incarnations, les auteurs entendent le soupir du lecteur qui, tel Socrate face à Ménon, s’impatiente : on vous demande une définition, une essence du populisme et l’on voit se lever un essaim de populismes. Et ils ne se dérobent pas, ils s’y risquent. On qualifiera de populiste, s’accordent-ils, quiconque gratifie le peuple d’une supériorité intrinsèque, et entend tirer toutes les conséquences de cette supériorité reconnue. Le peuple étant doué d’une supériorité notamment morale, taillé dans une étoffe plus humaine, alors il doit se voir non pas méprisé, ainsi qu’il l’est trop souvent, mais au contraire, pris au sérieux et satisfait dans ses aspirations, dit en substance le populiste. Si air de famille il y a entre tous les populismes, il se décèle ainsi dans cette commune mystique du peuple. Sur ce point, on se reportera à la notice consacrée à Michelet et à son maître-ouvrage Le Peuple, véritable « catéchisme prophétique du populisme, ainsi que l’écrit Rouvillois, où l’on devine par avance, exprimés par l’un des plus grands écrivains du siècle, la plupart des éléments significatifs de cette vision du monde».

Mais ne croyez pas avoir alors trouvé quelque repos, car à rebours de ceux qui ont conçu cet anathème pour n’être pas dérangés dans leur confort moral et intellectuel, ce dictionnaire n’est pas là pour nous engourdir : à peine se croit-on en possession d’une définition, qu’une nouvelle question jaillit : le populisme se distingue par la supériorité qu’il reconnaît au peuple, c’est entendu, mais de quel peuple parle-t-on ? Le peuple lui-même ne se dit-il pas en plusieurs sens ? Le peuple des populistes, est-ce la plebs, les couches populaires ? Le peuple-ethnos, communauté historiquement constituée, cimentée par les liens du sang et/ou les mœurs, la mémoire, la langue, l’héritage ? Le démos, le corps civique ? Réponse décisive, au sens littéral du terme, l’acception retenue décidant de la couleur politique et de la tonalité dominante de chacun des populismes.  Populisme de droite, dira-t-on lorsque le peuple auquel on fait appel, ou auquel on s’adresse est le peuple ethnos, le peuple comme donné et identité, et populisme de gauche, le peuple comme entité sans histoire partagée, sans identité, fédéré, comme le dit Jean-Luc Mélenchon, par le seul rejet des élites.

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Le populisme se reconnaît aussi à un « style », un style volontiers en rupture avec les codes habituels, que ce soit dans la tenue, dans la langue. « Le débraillé » terme que Rouvillois qui signe l’article, juge plus adéquat que vulgarité, est ainsi particulièrement goûté du populiste.

Boutin, Dard et Rouvillois se dérobent d’autant moins à l’entreprise conceptuelle que l’une de leurs ambitions est d’élever la notion de populisme au rang de catégorie, digne de figurer dans la nomenclature des régimes politiques. « Ni fantôme sorti du néant, ni injure », le populisme, entendent démontrer les auteurs, est un « objet politique intellectuellement identifiable ». Indice du peu de légitimité universitaire dont il jouit, le populisme est absent du Dictionnaire de Philosophie politique que publiaient en 1996 Philippe Raynaud et Stéphane Rials.

Un concept qui ne date pas d’aujourd’hui

Pourtant, si le mot est récent – il fait son apparition au XIXe siècle dans la Russie tsariste – , la chose qu’il désigne,  elle, est ancienne. S’interroger sur le populisme, sur son essence, sur son histoire, c’est se confronter aux questions qui travaillent la philosophie politique depuis que quelque chose comme la politique existe, depuis que la question du peuple, de son rôle dans la cité occupe les esprits. Et parmi les questions que les populismes mettent impérieusement à l’ordre du jour, il en est deux qui sont absolument majeures pour nous, et que nous ne pourrons plus longtemps escamoter : la question de la représentation et la question de l’impuissance du politique.  Sur ce chapitre, on suggérera au lecteur de dévider un fil qui conduit de « Antiélitisme » et « Antiparlementarisme » à « Référendum d’initiative populaire » et « Référendum révocatoire » en passant par la constellation de notions qui cristallisent autour du mot  « Démocratie », avec un détour par la très suggestive entrée « Révolution française » que signe l’historien Patrice Gueniffey. Ces notices – comme l’ensemble de l’ouvrage d’ailleurs – remettent les pendules à l’heure : non, le peuple n’est pas fatalement contre les élites, funestement contre le parlement, sommairement contre la représentation – serait-ce la marque de ces dispositions morales que George Orwell et Jean-Claude Michea prêtent volontiers au peuple, ainsi qu’il est rappelé à l’article « décence commune » ?

Jean-Claude Michéa (c) Hannah Assouline
Jean-Claude Michéa
(c) Hannah Assouline

Le plaisir qu’offre un dictionnaire, c’est le plaisir du vagabondage. Au gré de ses humeurs, de son inspiration, de ses travaux du jour, on empruntera tel ou tel chemin. On s’y meut par association d’idées. La tentation est grande pour nous, Français, d’y pénétrer par la pomme de discorde par excellence avec les élites, le signe de leur éclatante trahison : le « référendum de 2005 » et le « Traité de Lisbonne, « la Constitution malgré nous. Une constitution sans les peuples », conclut l’auteur.

Fatigué de l’actualité, on peut aussi y pénétrer avec un esprit davantage historien, en fin limier de l’usage du mot en France. Il n’était plus guère familier qu’aux spécialistes de l’histoire de la littérature et sur ce chapitre, il faut lire les notices consacrées respectivement au « roman » et à « Eugène Dabit », qui reçut le premier le prix du roman populiste pour Hôtel du Nord et qui porte témoignage d’un temps où l’épithète « populiste » n’avait rien de péjoratif et n’impliquait pas non plus la fétichisation du peuple. Témoignant seulement du souci de peindre la vie ordinaire des gens ordinaires sans s’« embarrasser de ces doctrines sociales qui tendent à déformer les œuvres littéraires ». Rappelons qu’un prix du roman populiste continue d’être décerné chaque année.

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Promenade esthétique que l’on poursuivra avec bonheur en se reportant successivement aux entrées absolument passionnantes que sont « Poésie », « Théâtre », « Cinéma français» – reconnaissons au passage à l’auteur l’art de susciter le désir de  découvrir ou redécouvrir les films qu’il évoque -, « Chanson »,  « Béranger »,  « Aristide Bruant ». Evidemment, on ne laisse pas de songer aux entrées qui ne figurent pas et qu’on eût aimé trouver ainsi de Franz Capra, le réalisateur américain de M. Smith au sénat qu’il eût été stimulant et sans doute fécond de passer au crible de l’épithète « populiste ». Les notices « Victor Hugo » et « Emile Zola » posent également des jalons très précieux pour penser la question de la représentation du peuple dans l’art.

Les populismes rencontrent leur limite évidente dans la sacralisation du peuple, dans le postulat qui les réunit de sa supériorité intrinsèque, mais ils ont l’immense mérite, et c’est ce qui ressort de cette entreprise collective appelée à devenir un ouvrage de référence et un outil de travail, de reconnaître la légitimité des aspirations populaires, lesquelles renvoient bien souvent à des besoins fondamentaux de l’âme humaine allègrement diabolisés par les progressistes et autres collaborateurs du monde comme il ne va pas. Davantage exposé aux rugueuses réalités du quotidien, à ses aspérités, privé des moyens économiques de les contourner, si le peuple n’est pas supérieur, il est assurément le gardien, la vigie des moyens qu’ont conçus les hommes et que leur lèguent leurs ancêtres pour rendre la vie plus douce, plus aimable. Si bien que loin de servir fatalement une idée dégradée et dégradante de l’homme, les populistes sont les seuls aujourd’hui à « élever la voix », et à demander avec le poète Saint-John Perse : «Et de l’homme lui-même quand donc sera-t-il question ? »     

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Décembre 2019 - Causeur #74

Article extrait du Magazine Causeur




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est docteur en philosophie. Derniers essais: Libérons-nous du féminisme! (2018), Le Crépuscule des idoles progressistes (2017)

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