Le niveau scolaire étant catastrophique, Pap Ndiaye entend renforcer l’enseignement du français avant le collège. Les CM1/CM2 auront droit à une dictée quotidienne.
« Apprendre » les mots ! Comme j’en étais avide ! Au fil des jours, les nouveaux mots s’ajoutaient aux anciens et faisaient une confrérie admirable dans ma tête et sous ma plume, jamais avare de nouveautés dans les phrases, puis dans les paragraphes, puis dans les rédactions que nous apprenions à composer comme on construit avec savoir-faire, une maison. Cet amour des mots n’a fait que grandir au cours des années. C’est peu de dire que, maintenant encore, il me faut des heures si je cherche un mot dans le dictionnaire, un mot renvoyant à un autre. D’autant que les images me ramènent aux « leçons de choses » de mon enfance. Aussi aimais-je les dictées : le papier à grands carreaux (le passage aux petits carreaux se fera en classe de sixième), le silence qui règne sur les têtes penchées, le crissement des plumes, leur petit bruit dans l’encrier — et la tête se relève pour sonder les lointains avant de replonger dans la forêt des lignes, l’esprit est tendu pour ne faire aucune faute — et ce sont des soupirs de satisfaction quand, une fois prononcé par la maîtresse « Point final », l’œil prend, le buste en arrière, la mesure de la tâche accomplie.
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Sans doute certaines élèves connaissent-elles les affres de la dictée, moi, je suis dans l’ivresse. J’aime écrire « Dictée » en tête de la page. J’aime sentir battre mon cœur à la difficulté du texte et savourer le bonheur d’échapper à un piège grammatical. J’aime le pas régulier de la maîtresse qui épelle lentement et va de rang en rang accentuant les liaisons quand elles sont nécessaires. Qui h ! J’aime la ponctuation et les accents. J’aime l’initiation aux mystères orthographiques : celui de « pharmacie » et du circonflexe de « forêt », celui, phonétique (on ne disait pas le mot mais on comprenait à demi-mot) du mot « doigt » : tous ces mots que la maîtresse nous déclinait dans leurs familles. C’étaient des mots « courants. » Car il y en avait d’autres, rares, que nous devions apprendre. A la sortie, on se demandait ce qu’on avait mis pour tel mot difficile. Je n’avais pas, comme on dit, une orthographe impeccable : j’étais — ainsi disait-on — « étourdie ». Car il y avait des fautes d’étourderie et des fautes graves. Celles des accords par exemple quand on met un « s » à la première personne des verbes du premier groupe. Quand on confond « lire » et « lier ». Il y avait même des fautes sans rémission à en juger par les pleurs de certaines élèves à la remise des cahiers.
On a gardé les dictées de Louis XVII à la prison du Temple, corrigées par Louis XVI avant qu’il ne parte pour l’échafaud. Comme il est émouvant de voir l’écriture penchée du Dauphin semblable à celle que nous avions, avant l’invention des bics et des feutres, ainsi que les fautes du royal rejeton, si semblables à celles de tous les écoliers.
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Quand on me demandera plus tard comment je suis « devenue poète » (comme on demanderait : « Comment avez-vous fait pour être simple d’esprit ? »), ce que je sais, c’est que faire apprendre aux élèves des mots de manière qu’ils se les approprient, leur donner de beaux poèmes à apprendre « par coeur » dans de beaux livres, forme à vie le goût du langage. On connaît l’expérience, souvent rapportée, de ceux qui, sur un lit d’hôpital ou en prison, ne pouvant rien faire ni parler, survivent, grâce aux poèmes appris dans leur jeunesse, et déroulent dans la solitude, leurs litanies de bonheurs et de douleurs, de sensations, de plaisirs, portée par la houle des rimes et des sonorités. Ce qu’on appelle si joliment « la mémoire du cœur ».
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