Dick Rivers est décédé ce mercredi 24 avril, jour de ses 74 ans. Le chanteur des Chats sauvages incarnait une époque: celle des bananes, des juke-box, des corps qui se balancent et des premières Mustang françaises, celle du réveil de la France de papa.
Dick, c’était une voix, le timbre clair et puissant nourri à la pissaladière et aux refrains du King de Memphis. La banane en héritage, droit dans ses bottes texanes, le cheveu corbeau, avec ce déhanché caractéristique des enfants nés à la toute fin de la guerre qui ont été bercés par la hargne communicative d’Elvis et de Gene Vincent. Avant eux, les corps n’exultaient pas de la même manière. Ils sonnaient différemment, un peu creux. Le mouvement était enfin né, filles et garçons allaient en profiter sur la piste de danse ou ailleurs.
La promenade des Américains
Le juke-box à plein tube(s) rendait, en ce temps-là, les nuits plus douces à toute une jeunesse coincée entre Tante Yvonne et le chanoine Kir, entre le presbytère et le travail à la chaîne. Chuck Berry propulsait son Johnny B. Goode dans l’espace ! Bill Haley faisait tourner un peu l’horloge et nous gagnions quelques minutes d’espérance ! Et Fats Domino, avec son embonpoint et son sens du swing, veillait sur les rêves des petits Niçois en culottes courtes. C’était il y a un demi-siècle, une musique de sauvage venait de débarquer sur la Côte d’Azur. Un fils d’immigrés italiens y trouvera son Eldorado, l’échappatoire tant désirée. Le rock aérait l’atmosphère sous naphtaline de ce début des années 60.
Avec la disparition aujourd’hui de Dick Rivers à l’âge de 74 ans, cette Amérique fantasmée et brinquebalante ne brillera plus comme le reflet d’une Buick Riviera sur la Méditerranée. Un monde s’évanouit dans l’anonymat car la nostalgie oblige à la comparaison. Et cette Amérique fourmillante de gadgets et de fantaisie, d’objets inutiles et d’un capitalisme triomphant est un lointain souvenir. La globalisation a asséché notre part d’inconscience. Le tragique des peuples arrive le jour où ils perdent leur innocence et leur flamme intérieure.
Je suis Dick Rivers
Quand la silhouette d’un Dick plus Lucky Luke qu’Obélix se dessinait sur un plateau de télé, on se mettait en pilotage automatique, calé dans nos santiags, prêt à rouler sur une « highway » déserte des heures durant, dans l’espoir d’apercevoir une pin-up carrossée comme un bombardier. Cette panoplie pouvait faire sourire certains esprits insensibles aux chimères. Il fut parfois snobé, raillé et sous-estimé, il en voulait à tous ces gommeux de toujours programmer les mêmes encartés. La télé lui refusait l’entrée, lui qui avait vendu des millions de disques. Dans la grande famille yéyé, avec Richard Anthony, il était une exception : il savait chanter, ce qui aurait pu être un handicap pour faire carrière.
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Les impresarios de l’époque vendaient du microsillon à la tonne. Ils ne s’embarrassaient pas des faussetés et des casseroles. Tout le charme d’une industrie naissante et des allures de Ruée vers l’or. Le vinyle se démultipliait plus assurément que les pains. Dans le métier, Dick tenait le micro comme personne, il incarnait cette bulle Sixties, artificielle et tellement naïve pour nous qui n’avons connu que les crises pétrolières et identitaires. En mémoire d’Hervé Forneri, son vrai nom, je revendique haut et fort toute cette quincaille idéologique faite de Blues, de jeans rivetés, de milk-shake à la coco et d’espoirs forcément déçus. Dick, le chantre du scopitone n’avait pas abandonné sa terre originelle, celle d’un rock qui crie son désespoir et réconforte les âmes seules.
Mémoire sauvage
Après le départ de Johnny, il tenait la maison. Mémoire du rock ‘n’ roll, d’une érudition sans œillères, touche-à-tout artistique, Hervé dénotait dans le paysage culturel conformiste. Il a accompagné une jeunesse française qui s’émancipait des parents, des enseignants et d’un ordre moral trop pesant. Les baby-boomers se rappellent de leur entrée dans l’adolescence au son des Chats sauvages et des Ford Mustang. Il fut l’un des premiers possesseurs de la mythique voiture américaine dans l’hexagone avec Daniel Filipacchi et Claude François. Immatriculée 06, Alpes-Maritimes, of course. Salut le copain !
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