Dans La partition, l’auteur décrit sur un mode doux-amer l’effondrement d’une famille.
L’été est là. C’est le moment de souffler un peu, de lire un bon livre, face à la mer ou sous les tilleuls. Diane Brasseur, auteur de Les Fidélités et Je ne veux pas d’une passion, publiés chez Allary Éditions, nous offre un merveilleux roman pour oublier le monde bavard.
Montée générale du meurtre
La Partition nous plonge dans l’histoire d’une famille éclatée au cœur d’une Europe bientôt ravagée par la montée générale du meurtre. Cette famille est dominée par la figure maternelle, Koula, une grecque au tempérament volcanique, folle amoureuse, digne héritière des grandes tragédiennes de Racine. Elle a eu trois fils. Les deux premiers, Bruno et Georgely, avec un père grec ; Alexakis, avec un père belge. Bruno est le personnage le plus attachant. Il n’a pas eu de chance à la naissance, contaminé par la syphilis paternelle. Sa personnalité étonne. Comme ses yeux, bleus et transparents. Il est brillant, joue du piano avec délicatesse, aime le théâtre, l’architecture, et les femmes. Il parle peu. « Un musicien bavard, ce n’est pas un musicien », écrit Brasseur. Il a de grandes mains, ce qui lui empêche de jouer du Mozart. Son professeur lui fera travailler Chopin. Un tel détail ne s’invente pas. Les femmes, oui, il les aime. « Des femmes qui ne font ni la poussière, ni le ménage, ni la vaisselle, ni les repas », précise l’auteur.
Une histoire d’amour entre un fils et sa mère
Il voudra se marier, déclenchant la colère de Koula. « Mon fils, fais attention, les femmes chercheront à t’encercler, t’embobiner, t’enrouler, tempête Koula, tu es intelligent, tu as du caractère, tu leur plairas. » La mère possessive conclut: « Elles te rendront malheureux. » Voilà, c’est tranché. Notons au passage que chaque chapitre commence par un extrait d’une lettre familiale. Le plus souvent, c’est Bruno qui écrit à sa mère. Cela donne une sorte de roman dans le roman, une histoire d’amour entre un fils et sa mère, comme il en existe tant. Du reste, quand Koula est contrainte de choisir entre Bruno et Georgely lors de sa fuite loin de son mari, elle choisit Bruno.
Ce fils adoré et tant protégé reste pour moi le personnage central de ce roman qui tient la distance. Diane Brasseur le fait mourir dès les premières pages. Bruno est professeur de littérature, admiré par ses étudiants, il a dépassé le cap de la cinquantaine, déteste les collants qui déforme les fesses des femmes, il s’écroule sur le bitume, crise cardiaque, au moment où les trois frères allaient enfin être réunis. La mort frappe le personnage qu’on apprend à connaître ensuite, il va devenir un frère d’encre, un confident pour ce début d’été caniculaire. Brasseur a pris un risque en le faisant mourir d’entrée de jeu, on pourrait lui en vouloir d’avoir agi ainsi. Mais l’histoire qu’elle narre avec brio, sans jamais se prendre les pieds dans les nombreux fils qu’elle tend, nous rend indulgent.
La première ligne du premier chapitre
En refermant ce roman à la tonalité douce-amère, c’est toute cette famille disloquée qu’on regrette, c’est la nostalgie des séparations qui pince le cœur, c’est le crépuscule gris de l’existence qui agite l’âme. On pense à ce frère, Alexakis, devenu violoniste, parce que « de l’enfance il (lui) manquera toujours quelques chose ». L’amour de cette mère pour son fils, encore une fois, nous empêche de vaquer à nos occupations une fois le livre achevé. « Pour protéger son fils, écrit Brasseur, si elle avait pu tricoter un pull-over avec ses boyaux, ses entrailles, sa peau et ses poils, elle l’aurait fait. » Seule une femme est capable d’un tel sacrifice.
Il y a également cette autre histoire de famille entre l’auteur et son père qui nous intrigue. Dans les remerciements, Diane confesse : « Je remercie mon père d’avoir gardé les lettres et de m’avoir encouragé à écrire. »
Et puis quand vous en aurez vraiment fini avec ce roman, je vous invite à relire la première ligne du premier chapitre. Elle porte à la tolérance.
Diane Brasseur, La partition, Allary Éditions.
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