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Elle a vécu sa vie à Peel ou face

Les bottes de cuir s'en vont


Elle a vécu sa vie à Peel ou face
L'actrice Diana Rigg en 1969 © MARY EVANS/SIPA Numéro de reportage : 51387000_000002

Disparition de Diana Rigg, l’interprète d’Emma Peel dans la série « Chapeau melon et bottes de cuir »


Icône des Sixties, égérie des féministes et des fétichistes (la combinaison en latex lui collait si bien à la peau), fantasme des adolescents nés entre 1955 et 1975, prisonnière à jamais de nos souvenirs émus, gloire planétaire du petit écran, divinité pop, principale cause des voyages scolaires en Grande-Bretagne au siècle dernier, éphémère épouse de 007, incarnation de l’Anglaise affranchie et inabordable, croisement entre Twiggy pour la longueur des jupes et Brett Sinclair pour l’humour primesautier, anti-Miss Marple et grand-mère inspirante des Spice Girls, part non négligeable de notre amour immodéré pour la perfide Albion, Diana Rigg nous a quittés à l’âge de 82 ans.

Il est difficile de ne pas détacher l’actrice du rôle qu’elle a tenu durant deux saisons aux côtés du statutaire Patrick Macnee. Il avait le melon, elle enfilait les bottes en cuir. Il dirigeait les enquêtes, elle faisait mine de le laisser croire. Elle menait la danse et Steed, ce grand dadais enamouré, en redemandait. Dès son apparition, elle a éclipsé les autres héroïnes de la série. Bien que dans ce domaine, il existe une controverse encore plus terrible que celle de Valladolid. Deux écoles de pensée s’affrontent, les classiques qui considèrent que Diana est indépassable dans le flirt taquin et la sensualité un brin corsetée, et les modernes qui n’ont d’yeux que pour la blonde piquante Purdey (Joanna Lumley) à la coupe saturnienne et aux jambes-compas. Il s’agit là, d’affrontements purement théoriques car même les défenseurs de Purdey et de son acolyte, l’insipide et valeureux Gambit, s’accordent à dire (en privé) qu’Emma Peel a fait le pont entre les années 1960 et 1970. Elle possédait déjà dans son jeu, la modernité électrique des Seventies tout en conservant cette réserve érotique de la décennie précédente. Son irruption dans nos foyers fut cataclysmique. La Tour de Londres en tremble encore. De bons pères de famille ont voulu tout quitter dans l’espoir de rencontrer une créature aussi lumineuse et tentatrice. Elle était belle à regarder et encore plus à entendre par son sens de l’à-propos et de la litote. Comment ne pas évoquer sa beauté et son intelligence dont l’alchimie secrète résonnera longtemps dans nos cœurs ? Il est de bon ton aujourd’hui (pour un homme) de passer sous silence la force aveuglante d’un tel physique captivant, par peur d’être taxé d’affreux phallocrate. Taire sa beauté serait pourtant une injure et une insulte à son talent. La question demeure : était-elle atrocement belle et désirable parce qu’elle était superbement spirituelle ? Ou était-ce le contraire, sa supériorité intellectuelle était-elle due à son charme, à son sex-appeal et à son sourire mutin ? On ne tranchera jamais ce mystère et on n’oubliera surtout pas la façon dont elle maniait les armes à feu ou la prise de judo salvatrice. La beauté ne s’explique pas, c’est un don de dieu, forcément inégalitaire et violent, une aura tellurique qui terrasse tout sur son passage. Ce qu’on peut affirmer ce matin, sans se tromper, c’est que son apparition fut un réel choc esthétique, elle semblait si libre, si fluide, si déterminée, si pugnace et tout ça, sans volonté d’en rajouter, avec parfois seulement ce rictus satisfait qui disait : « Qu’est-ce que tu crois coco, je suis Emma Peel, la fille la plus sauvage et disciplinée au service de sa Majesté ou de Mère-Grand ? Alors fais attention à toi ! ». Était-elle réellement consciente de son impact sur la jeunesse d’alors (tous sexes confondus) ? Les filles la remercient pour cette leçon d’émancipation sans la moraline universitaire qui va avec et les garçons lui sont infiniment reconnaissants d’avoir nourri leur imaginaire. Emma Peel laissait entrapercevoir dans la chaleur suffocante des salons français ou européens, après la crise du pétrole, dix ans après sa première diffusion en Angleterre qu’on pouvait tomber amoureux d’une image fabriquée dans un studio. Emma Peel était aussi émotionnellement puissante que son homologue normande Bovary. Ah si Flaubert l’avait connue. Un jour, elle a déboulé au volant d’une Lotus Elan. Elle portait un ensemble veste zippée et pantalon vert pomme ou un col roulé noir à fines mailles, ou n’était-ce pas plutôt un costume en cuir ou cette robe à motifs liberty, enfin, je ne sais plus très bien. Mais je me suis dit que ce Steed était un sacré veinard !



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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