Causeur. Ce qui ressort de ton livre, c’est qu’il n’y a pas une « génération 2016 » mais plusieurs: la jeunesse en sécession culturelle des banlieues que tu appelles la « génération Dieudonné » d’un côté, et de l’autre une jeunesse que tu divises en deux courants, la « génération Michéa » et la « génération Zemmour », mais dont la nouveauté est d’être clairement à droite.
Alexandre Devecchio. Il y a effectivement un basculement d’une partie de la jeunesse désormais majoritairement opposée à l’idéologie libérale-libertaire. En 2012, lorsque François Hollande déclare vouloir dédier son mandat à la jeunesse il pense encore qu’elle est structurellement à gauche, ce qui a été vrai de mai 68 à 2005, avec les manifs anti-CPE. Depuis, cette tendance s’est inversée et c’est encore plus net à partir du début de son mandat : le FN s’affirme comme le premier parti chez les jeunes, qui sont également plus nombreux dans les rangs de la Manif pour tous que pour le mariage gay.
À 29 ans, tu es à la fois un chroniqueur et un acteur de cette mutation : où te situes-tu?
J’appartiens clairement à la « génération Zemmour ». Petit-fils d’immigrés qui ont fait un effort pour s’assimiler à la société française, fils de petits commerçants qui ont plutôt souffert de la mondialisation, j’ai grandi à Épinay-sur-Seine et fait mes études à Saint-Denis dans le fameux 9.3 , je ne suis pas loin d’être ce qu’on appelle un « petit blanc ». Un de ceux dont les parents ont été mis en accusation comme « beaufs », « racistes » ou « islamophobes ». Je me suis peut-être construit en réaction à ça. Donc je me reconnais plus dans la jeunesse Zemmour, même si j’apprécie ce que j’appelle la « génération Michéa ».
Tu parles d’un basculement, on sent chez certains un désir de revanche. Cette jeunesse qui se veut anticonformiste est-elle en train d’inventer le conformisme de demain ?
Bien sûr, ce risque existe, mais ça nous change un petit peu ! Et c’est aussi comme ça qu’on change la société. Je ne vais pas me plaindre que cette jeunesse, après avoir été honteuse tant d’années, soit « décomplexée », quoique je n’aime pas ce terme mais, disons, « déculpabilisée ». Surtout, le risque qui m’inquiète plus est celui d’un affrontement. Je n’aimerais pas voir se développer, par une sorte de mimétisme avec le communautarisme de la jeunesse immigrée, un communautarisme des petits Blancs avec l’exaltation d’identités parfois fantasmées.
C’est pourtant ce qui se passe chez une partie des catholiques, où certains voudraient faire du catholicisme une identité opprimée comme les autres…
Certes, mais essayons de ne pas faire d’amalgame ! Les catholiques qui se vivent comme une communauté opprimée sont malgré tout une minorité. De même que les « petits Blancs » qui versent dans un esprit de revanche. À côté de ce retour au communautarisme, on assiste aussi à celui d’un certain patriotisme plutôt réconfortant.
D’accord, mais le goût assumé pour les racines, notamment chrétiennes, conduit parfois à renoncer à l’universalisme républicain.
De fait, une partie de cette jeunesse catholique est imprégnée par un imaginaire historique contre-révolutionnaire qui n’est pas le mien. Si je me sens de la génération Zemmour, même si lui assume aujourd’hui un tournant identitaire, c’est que je reste un républicain convaincu et convaincu qu’on peut faire des Français avec tous ceux qui veulent s’assimiler. Maintenant, les flux migratoires compliquent la situation.
L’autre chose qui me fait craindre l’émergence d’un manichéisme inversé, c’est que tu réduis la jeunesse de gauche à sa caricature nuitdeboutiste. Désolée, mais il reste encore bien 30 à 40 % de jeunes qui sont à gauche et qui ne sont pas aussi bêtes ni aussi vains !
Tu ne trouves pas qu’il y a eu assez de travaux sur les jeunes de gauche ? J’ai voulu donner la parole à une autre jeunesse que l’on n’entendait pas ou peu jusque-là, montrer que les jeunes FN ne sont pas forcément des « prolétaires analphabètes » ni ceux de la Manif pour Tous des « Marie-Chantal » échappées de La vie est un long fleuve tranquille ou des « fascistes en loden ». De plus, si 30 à 40% de jeunes sont encore à gauche, les plus actifs se révoltent aujourd’hui contre le progressisme niais qu’on leur a donné comme vérité révélée. Ce sont eux qui mènent le combat culturel.
En attendant, tes catégories sont un peu gentillettes. Ta « génération Dieudonné » est très largement une « génération Djihad », ta « génération Zemmour » une « génération Marine » et ta « génération Michéa » une « génération Manif pour tous – Marion ».
Exact, mais un peu caricatural.[access capability= »lire_inedits »] Ainsi, même si beaucoup de gens votent FN dans la « génération Zemmour », ils défendent des idées, pas un combat partisan. C’est pourquoi je pense que Zemmour a eu sur eux beaucoup plus d’influence que Marine Le Pen. Pour autant, je ne me cache pas tant que ça derrière mon petit doigt. Un chapitre s’intitule « La jeunesse n’emmerde plus le FN ». Un autre est consacré à Marion Le Pen, qui est, selon moi, la Daniel Cohn-Bendit du mai 68 conservateur.
Là où tu charries un peu, c’est quand tu annexes Michéa à la lutte contre le mariage gay. Michéa est un penseur de la limite mais il est assez éloigné des problématiques catholiques.
Pour moi, le mariage gay a été un prétexte à la mobilisation d’une génération qui voulait défendre un héritage politique et culturel. Or la fraction la plus active et la plus maligne de cette génération a compris le lien entre le libéralisme économique et le libéralisme culturel, justement en lisant Michéa, et elle a su l’utiliser. Ces jeunes bernanosiens font du Gramsci et c’est très bien !
Humm. Mais s’il s’agit juste de régler leur compte aux pères libéraux-libertaires en prônant un nouvel ordre moral, très peu pour moi…
Peut-être une frange minoritaire de cette jeunesse rêve-t-elle d’ordre moral, mais dans l’ensemble je la crois plus subtile et il me semble qu’elle cherche à promouvoir un modèle culturel et civilisationnel dont elle redoute, à juste titre, la disparition dans les limbes de la postmodernité. La République à laquelle je suis attaché n’est pas une abstraction née en 1789, elle porte l’héritage de la nation française.
Quand Marion dit : « Nous voulons des principes, des valeurs, des maîtres à suivre et même un dieu ! » pardon, je ne vois pas seulement un besoin de verticalité mais aussi un petit désir de soumission.
N’exagérons rien ! « Un dieu », cela signifie un absolu qui nous transcende. Des « maîtres », ça veut dire des modèles. Et des « valeurs », c’est mieux que le relativisme absolu ! En matière de « soixante-huitardisme inversé », celui qui me paraît le plus dangereux et qui mobilise le plus aujourd’hui, c’est l’islamisme ! Honnêtement, Marion Le Pen me paraît beaucoup moins effrayante !
En somme, nous avons désormais une jeunesse réac ?
Réac ? Ces jeunes très à l’aise sur les réseaux sociaux ont totalement adopté les mœurs de 68. Il n’y a pas de risque de retour à la société des années 1950. Mais peut-être faut-il aujourd’hui être un peu réactionnaire. On a détruit de belles choses comme une République une et indivisible, ou un État fort avec des frontières. Il incombe peut-être à ma génération de les reconstruire.[/access]
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