Montesquieu disait n’avoir jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé. C’est qu’il ne connaissait pas le cinéma. Pour être de grands lecteurs, Éric Neuhoff et Laurent Dandrieu qui publient, chacun de son côté, un dictionnaire du cinéma n’en sont pas moins les enfants des salles obscures, de la VHS et du DVD. Pour Neuhoff, le dictionnaire est chic ; pour Dandrieu, il est passionné. Autant dire, et c’est tant mieux, que nous avons affaire dans les deux cas à une subjectivité revendiquée, une certaine mauvaise foi même, mais qui fait partie du jeu pour le lecteur/spectateur qui cherchera d’abord ce qui est dit des films qu’il préfère.[access capability= »lire_inedits »] Il aura ainsi le plaisir de se mettre en rogne et, quelques pages plus loin, d’applaudir à la clairvoyance de l’auteur car la subjectivité, justement, est, surtout en matière de cinéma, la chose du monde la mieux partagée.
Méthodique, Dandrieu passe 6 000 films au crible, impitoyablement notés par des étoiles ou d’infamants ronds blancs. Pour notre part, nous aurons du mal à lui pardonner son jugement sans appel sur À bout de souffle de Godard, mais nous nous retrouverons avec lui sur Le Fanfaron de Risi et « son équilibre parfait entre le rire et la cruauté ». Il y a dans la préface de Dandrieu une exigence clairement morale. C’est un janséniste qui aimerait les actrices à condition qu’elles jouent dans des films ne célébrant pas trop le relativisme moral.
Bref, Dandrieu est un réactionnaire assumé qui peut certes célébrer l’innovation formelle ou la série B, mais qui se refuse à trouver bon un film où la subversion lui semble être un accessoire à la mode. De Pasolini, il retient L’Évangile selon saint Matthieu mais refuse de se frotter à Salo ou les 120 journées.
Neuhoff est plus léger, même si Dandrieu n’est pas dépourvu d’humour dans l’assassinat. C’est que Neuhoff est un héritier assumé des « Hussards ». Il a le sens de la formule et du sarcasme : « La mauvaise conscience ne chôme jamais. Aujourd’hui les rebelles sont conviés aux César. Ils y vont sans cravate. Non mais. »
Le cinéma, pour Neuhoff, c’est à la fois son auberge espagnole – il y trouve ce qu’il y amène – et son école buissonnière : le cinéma est encore le meilleur moyen de sécher les cours et notamment ceux que donne avec une imperturbable cruauté le temps qui passe. Il y a dans le dictionnaire de Neuhoff une nostalgie pour la jeunesse qui est lente à mourir et un goût pour les films où des beautiful people ont des problèmes de beautiful people. Les entrées de son dictionnaire sont variées, on a le droit à de jolis portraits d’Audrey Hepburn, de Faye Dunaway, de Romy Schneider ou de Sylvia Kristel : « Elle fit beaucoup pour la commercialisation des fauteuils en osier. »
Ou encore, à la lettre « E comme ennuyeux », à une liste des films qui ont failli faire sortir Neuhoff avant la fin. Et Godard en prend là encore pour son grade avec La Chinoise qui est, pourtant, une amusante pochade maoïste. On se demande ce qu’il leur a fait, Godard, à ces deux-là.[/access]
Dictionnaire chic du cinéma, Éric Neuhoff, Écriture, 2013.
Dictionnaire passionné du cinéma, Laurent Dandrieu, L’Homme Nouveau, 2013.
*Photo : La Chinoise.
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