Les signaux économiques venant d’Allemagne ne sont pas bons, laissant présager des lendemains qui déchantent pour notre voisin…
Alors que certains pays développés affichent une croissance plus qu’honorable, l’Allemagne semble s’enfoncer dans une crise que certains qualifient de préoccupante, voire de grave. La conjonction délétère d’une inflation persistante, de l’affaiblissement de la demande mondiale et surtout de la crise énergétique – qui touche tout particulièrement le secteur manufacturier allemand – n’augure rien de bon. Croissance, inflation emploi : tous les chiffres macroéconomiques sont en berne.
La guerre en Ukraine a bon dos
La République fédérale n’est pas en bas du tableau de la croissance seulement en Europe, mais parmi tous les grands pays industrialisés, confirmant d’ailleurs les prédictions récentes du FMI. Et comme l’écrivait Ernst Stetter pour la Fondation Jean-Jaurès en juin dernier, « il serait trop simpliste d’attribuer la récession actuelle en Allemagne à la seule guerre en Ukraine[1] ». Il cite notamment l’économiste allemand Aloys Prinz selon qui la Banque centrale européenne, en relevant fortement ses taux directeurs, a aussi contribué à la situation actuelle. Mais il est probable que, plus globalement, sous l’ère Merkel, nos voisins aient péché par excès de confiance en considérant qu’ils étaient économiquement invulnérables. Or la coalition au pouvoir, dite du « feu tricolore » (rouge pour le SPD, jaune pour les libéraux du FDP et vert pour… les Verts), semble bien impuissante et beaucoup trop brouillonne face aux enjeux actuels.
La situation présente évoque cette expression célèbre qui désignait l’Empire ottoman au XIXe siècle et que le magazine britannique The Economist appliquait, déjà, à l’Allemagne en 1999. Reste à savoir pourquoi l’ancien premier de la classe européenne se retrouve subitement en queue de peloton.
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Comme le pointait récemment le quotidien économique Handelsblatt, les analystes ne se contentent pas de diagnostiquer des insuffisances de court terme que l’on pourrait rapidement corriger avec un programme de relance économique financé par la dette, une stratégie que l’Allemagne pourrait facilement adopter. Ils pointent du doigt des problèmes structurels susceptibles de ralentir la croissance pendant des années : bureaucratie (que plusieurs projets de loi visent actuellement à réduire[2]), prix de l’énergie, impôts et taxes élevés et pénurie croissante de travailleurs qualifiés. S’ajoutent à cela un problème démographique majeur et l’exode de nombreux travailleurs qualifiés vers la Suisse ou les États-Unis.
Cela n’a pas empêché le chancelier Olaf Scholz, en visite au Forum économique mondial de Davos en janvier, de dépeindre avec enthousiasme un pays florissant, évoquant tour à tour un « rythme de développement élevé », des « barrières à l’investissement réduites » ou vantant encore les « processus d’autorisation rapides » mis en place par le gouvernement.
Un résultat particulièrement significatif est sans doute l’indice du « climat des affaires » de l’Institut Ifo de Munich, un marqueur très observé outre-Rhin. En juillet, il a chuté pour le troisième mois consécutif, les 9 000 dirigeants interrogés évaluant à la fois la situation actuelle de leurs entreprises et les perspectives pour les six prochains mois, nettement moins bonnes. De fait, le président de l’Ifo Institute, Clemens Fuest, a récemment résumé de façon laconique : « la situation de l’économie allemande s’assombrit[3] » ; insistant au passage sur la « faiblesse de l’industrie ». Un pessimisme partagé par le très respecté chef économiste de la Commerzbank, Jörg Krämer, qui déclarait récemment à Reuters que « malheureusement, il n’y a pas d’amélioration en vue. Les hausses mondiales des taux d’intérêt font des ravages, d’autant plus que […] les entreprises allemandes sont bien plus vulnérables que par le passé. »
Des atouts devenus des boulets
Pendant plusieurs décennies, la politique économique allemande a reposé sur deux credo qui s’avèrent désormais dangereux : exportations vers la Chine encouragées à l’excès et dépendance énergétique organisée envers la Russie (avec en parallèle l’arrêt du nucléaire). Il en résulte désormais une fâcheuse cumulation de risques. Gourmande en énergie, l’industrie teutonne est particulièrement vulnérable aux perturbations de l’approvisionnement énergétique russe et aux goulots d’étranglement commerciaux – ce qui alimente à la fois le risque de récession et la perspective de prix encore plus élevés. Scholz reconnaissait d’ailleurs à Davos que l’Allemagne devait « de toute urgence diversifier ses chaînes d’approvisionnement et ses marchés d’exportation ». Quitte à se tourner en urgence vers le Qatar pour s’approvisionner en gaz – au prix fort.
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Dès lors, la tentation de comparer la situation outre-Rhin avec celle de la France est grande. Notre pays s’en sort-il mieux ? Au vu des derniers chiffres, oui, légèrement (affaire à suivre). Et malgré toutes les difficultés de notre parc nucléaire, notre stratégie énergétique a été bien plus habile. Cependant, il n’y a pas de quoi fanfaronner. Pour paraphraser Der Spiegel, on dira que la France, « c’est l’Allemagne en moins pire »…
Sans relier directement la carte électorale de 2023 aux déboires récents de l’Allemagne (ce qui serait trop simpliste), il est clair qu’un basculement majeur du vote contestataire s’est opéré ces dix dernières années, en partie lié à la situation économique de certains Länder. Jadis l’apanage de la gauche et de l’extrême gauche, le vote « dégagiste » s’est nettement déplacé vers la droite radicale de l’AfD. Le parti, créé il y a seulement dix ans, a d’ailleurs remporté sa première élection au niveau district (Kreis) en juin dernier, dans le Land de Thuringe, avant de remporter quelques jours plus tard une mairie en Saxe-Anhalt.
On voit mal comment l’Allemagne, actuellement dirigée par un chancelier manquant d’audace et de charisme, et empêtrée dans une coalition tripartite peu propice aux mesures chocs de contre-feu, pourra redresser la barre à court et moyen terme. De quoi fragmenter encore un peu plus un pays fédéral dont l’identité, largement fondée sur le succès économique, entre dans une zone de turbulences.
[1] « L’Allemagne est-elle à nouveau “l’homme malade de l’Europe” ? » Fondation Jean-Jaurès.
[2] Dont la fameuse loi IV sur « l’allégement de la bureaucratie »…
[3] « Ifo Geschäftsklima Deutschland », Ifo Institute, ifo.de.
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