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Deuil, j’y travaille


Deuil, j’y travaille
Prague, ancien cimetière juif.
Prague, ancien cimetière juif
Prague, ancien cimetière juif.

Les femmes de ma vie vous le diront : je peux toujours faire illusion en écrivant dans Causeur, j’ai beau pérorer sur des sujets de société, des choses importantes de la vie, je ne connais presque rien. Il y a des régions entières de l’âme et du cœur pour lesquelles je reste un étranger, un touriste tout au plus. Par exemple, la mort des autres me laisse totalement désemparé. Le deuil, je n’y comprends rien.

Avant de partager mon canapé avec le couillon tombé dans les filets de la SPA, j’ai eu un premier chien. Je ne voulais pas faire entrer dans la famille un de ces animaux fidèles ou policiers, mais ma fille m’a eu à l’usure. Le harcèlement fut long et acharné.

[access capability= »lire_inedits »]J’ai commencé par lui faire remarquer que le hamster et les trois chats devaient suffire à combler le manque d’amour inconditionnel que son père tardait à lui témoigner, mais les chats, ça ne vient pas se coucher au pied quand on les siffle. J’ai continué en lui expliquant qu’elle ressemblait de plus en plus à sa mère et que, le temps des garçons venant, elle ne tarderait pas à être comblée, mais rien n’y fit.

Après avoir conclu nos conversations pendant des années en lui répétant que, moi vivant, aucun cabot ne viendrait habiter sous mon toit, nous sommes un jour revenus d’un refuge avec une espèce d’épagneul noir et blanc.

Ce corniaud ne m’a attiré que des ennuis. Moins d’une semaine après avoir fait sa place dans la maison entre ma fille et moi, le clébard pointait sa truffe avec, dans la gueule, la cuisse d’une poule, laissant le reste de la volaille vivante et unijambiste dans le poulailler du voisin. Quelques jours plus tard, il tentait de renouveler la prédation sur le facteur avec moins de succès, ce qui me valut une lettre carabinée de la Poste.

Pourtant, quand ce salaud est mort, je n’ai jamais eu autant de chagrin de toute ma vie et il m’a fallu une bonne semaine de pleurs pour pouvoir penser à ce compagnon canin avec regret mais sans douleur.

En revanche, quand ma grand-mère nous a quittés, je n’ai pas versé une larme. Allez comprendre ! Quelques années après avoir perdu cette grand-mère juive chez qui j’avais passé beaucoup de mon enfance, j’ai emmené mon fils en voyage en Israël. Notre visite de Jérusalem nous a menés devant ce qu’on appelait, quand j’étais petit, le mur des Lamentations.

Je dois l’avouer : les vestiges de l’histoire et de la religion des Hébreux m’impressionnent beaucoup moins que les Israéliens. Devant les pierres du Temple, je reste de marbre et, si je suis sioniste, c’est plus par Moshe Dayan que par le roi David. Pourtant, ce jour-là, au pied du Mur, une émotion inattendue est venue me saisir. J’ai été cueilli par le souvenir du judaïsme tendre de ma grand-mère comme si j’avais cinq ans. J’ai peut être été, comme on dit pour les simplets, bercé trop près du mur et, à un moment de ma vie où je ne m’y attendais plus, sans pouvoir m’arrêter, j’ai pleuré ma grand-mère.

Les années ont passé et je me suis trouvé, alors que j’étais invité, un été, dans une maison de famille, devant une photo de famille. Il faut dire que je ne suis héritier ni de l’une ni de l’autre. L’histoire de France m’en a privé et je n’en garde aucune amertume : au moins, je ne passe pas mes vacances à tondre la pelouse et à repeindre les volets.

La photo était celle d’une grand-mère, alors jeune, dans les noirs et blancs d’avant, endimanchée et posant sur un sofa, un bouquet de roses à la main.

Cette image où tout ce qui est donné à voir a disparu, cette mise en scène un peu désuète, qui fait sourire, a libéré et ma peine et des larmes que j’ai eu du mal à endiguer.

Sur la photo encadrée de cette grand-mère inconnue, j’ai pleuré la mienne.

Combien de temps faudra-t-il à mon cœur pour comprendre que jamais plus, je ne reverrai ma grand-mère adorée ? Combien d’événements comme ceux-ci, auxquels s’ajoute l’écriture de ce texte, seront-ils nécessaires à l’accomplissement de ce qu’on appelle le travail de deuil ?

Je n’en sais rien et, à vrai dire, je ne suis pas pressé de le savoir.[/access]

Octobre 2009 · N°16

Article extrait du Magazine Causeur



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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