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Dette climatique, le nouveau fardeau de l’homme blanc?

Les pays pauvres somment les pays développés de leur verser des réparations.


Dette climatique, le nouveau fardeau de l’homme blanc?
Manifestation contre le réchauffement climatique, Paris le 12 novembre 2022 SEVGI/SIPA 01094104_000003

A la COP27, beaucoup de délégués parlent de «réparations» que les pays occidentaux, accusés d’être pollueurs, devraient verser aux pays pauvres qui prétendent ne pas polluer. On dirait une nouvelle version du «fardeau de l’homme blanc», dont parlait Kipling dans un poème célèbre, selon lequel les Blancs avaient la tâche de rehausser les autres nations à leur niveau de développement scientifique et d’organisation politique.


Ce que l’on retiendra probablement de la COP27, ce ne sont pas des débats scientifiques sur le changement climatique, ni des réflexions sur la déforestation, l’étalement urbain, et encore moins sur la bombe démographique africaine et les dangers qu’elle fait peser sur le reste de la planète. Non, ce que l’on retiendra, c’est plutôt le concept de « dette climatique ». Selon ses tenants, il s’agit d’une dette qu’auraient les pays dits « riches » envers les pays dits « pauvres » car, en raison de leur mode de vie, les pays « riches » seraient responsables du changement climatique qu’ils infligeraient aux pays « pauvres », moins responsables (voire innocents) de ce changement et simultanément disposant de moins de moyens pour s’y préparer et y faire face.

De prime abord, l’idée peut sembler intellectuellement séduisante quoi que simpliste. Mais en l’examinant plus attentivement, est-elle autre chose qu’une nouvelle version du fameux « fardeau de l’Homme Blanc » ? Du nom d’un poème de Rudyard Kipling, c’est cette idée, datant du temps de la colonisation, selon laquelle il était du devoir de l’Homme Blanc de se comporter vis-à-vis du reste du monde comme un grand frère responsable et d’arracher les autres peuples à la barbarie pour leur apporter la civilisation et les guider avec lui sur le chemin lumineux du progrès. Idée qui a évolué par la suite pour donner des avatars paradoxaux (d’ailleurs en partie annoncés par Kipling dans son texte, qui est aussi une mise en garde), entre obligation d’aide et devoir d’ingérence mais accusations de néo-colonialisme, impératif d’admiration envers les cultures africaines. D’où l’affirmation qu’il serait raciste et même contraire au « devoir d’humanité » (dixit Gérald Darmanin) d’imposer aux migrants illégaux africains de retourner vivre dans ces cultures pourtant merveilleuses.

Ainsi, des délires « décoloniaux » qui déboulonnent les statues et disent vouloir expurger la culture de la « domination Blanche »…. mais passent leurs journées à utiliser les fruits de la « science Blanche ». En toile de fond, un racisme inavoué dissimulé derrière un humanisme de façade : seul « l’Homme Blanc » serait acteur de la marche du monde, tandis que le reste de l’Humanité ne ferait que la subir, seul « l’Homme Blanc » serait pleinement Homme et donc responsable de son propre sort et du sort des autres peuples.

La « dette climatique » est bien une résurgence de cette vieille idée, évidemment instrumentalisée par les pays que l’on disait jadis « en voie de développement » pour profiter encore et encore d’une manne financière pour laquelle ils n’ont ni gratitude, ni sentiment d’obligation en retour, et qu’ils n’hésitent pas à exiger à grand renfort de chantages divers : chantage à la multiplication des centrales à charbon (la France a-t-elle eu besoin de l’aide de l’Afrique ou de l’Amérique du Sud pour sortir du charbon ?), chantage aux migrations massives, etc.

Pour autant, la « dette climatique » n’est peut-être pas que ça, et il convient de consacrer un moment à la prendre au sérieux. Au demeurant, son impact manifeste dans les médias et dans le discours politique nous y oblige.

L’ouvrier français qui peine à se payer l’essence dont il a besoin pour aller travailler a-t-il, du fait de l’utilisation de cette essence, une dette envers le milliardaire africain dont les déplacements alternent entre limousine et jet privé ? De toute évidence, non. Mais les tenants de la « dette climatique » ne seront pas plus sensibles à cette évidence qu’à celle qui permet de constater que ce même ouvrier français, s’il est Blanc, n’est en rien privilégié par rapport à Rokhaya Diallo ou Assa Traoré – au contraire, même : il faut être « racisée » pour bénéficier du privilège de se faire offrir des Louboutins en échange de la starification d’un délinquant que la justice a reconnu coupable de viol.

Ceux qui n’ont que le mot « systémique » à la bouche défendent l’idée d’une culpabilité collective. Soit. Admettons que les citoyens des pays « riches » soient collectivement responsables du changement climatique en raison de leur mode de vie, et oublions que la majorité d’entre eux ont une empreinte carbone bien inférieure à celle des élites économiques des pays dits « pauvres ». Il n’en demeure pas moins que ce mode de vie, présumé coupable du changement climatique, est précisément ce à quoi aspirent les pays « pauvres », qui ne se privent pas d’en bénéficier dès qu’ils le peuvent, et autant qu’ils le peuvent.

Dès lors, si les pays « riches » ont une dette envers les pays « pauvres » en raison des inconvénients de ce mode de vie, ce sont les pays « pauvres » qui ont une dette envers ceux des pays « riches » qui sont à l’origine de ce mode de vie en raison des avantages qui l’accompagnent, et qui reposent sur des connaissances scientifiques et technologiques élaborées siècle après siècle par certains de ces pays « riches » (au sens de la COP27). Combien le reste du monde doit-il aux Européens, par exemple pour la création des moteurs à vapeur puis électriques, pour les vaccins et plus généralement la médecine scientifique, et donc la chute de la mortalité infantile et l’augmentation, partout dans le monde, de l’espérance de vie ? Combien pour l’informatique, les réseaux de communication et de transports ? Combien pour la conquête spatiale ? Combien pour avoir initié et presque partout imposé l’abolition de l’esclavage ? Combien pour nos soldats morts en opérations extérieures dans ces pays, lors de l’opération Barkhane et de tant d’autres ? La liste est longue, et si l’on adhère à l’idée de dettes collectives, les seuls à être véritablement en position de demander des comptes aux Européens sont les pays et les peuples qui ont refusé d’adopter le confort du mode de vie occidental et de dépendre des Occidentaux, on pense au Bhoutan, à nombre d’Amérindiens et à quelques tribus amazoniennes. Eux, en effet, peuvent à bon droit nous présenter ainsi qu’au reste du monde la facture d’une dette climatique, sans oublier celle de la pollution atmosphérique, mais ils sont les seuls.

De même, on pourrait éventuellement défendre l’idée que les pays « riches » (donc pollueurs, selon le raisonnement de la COP27) qui ne peuvent revendiquer une part suffisante de la paternité intellectuelle des connaissances et des techniques dont bénéficient les pays « pauvres » seraient, eux, seulement débiteurs de ces pays « pauvres ». Attendons donc de voir si les défenseurs de l’idée de « dette climatique » s’empressent d’en présenter la facture aux pétro-théocraties et à Xi Jinping.

Et au passage, n’oublions pas que si la responsabilité est collective, les pays « pauvres » sont responsables de ce que font leurs diasporas venues vivre dans les pays « riches » : combien l’Algérie nous doit-elle pour les émeutes de 2005 et pour la mort de Lola ? Combien le Mali nous doit-il pour les crimes du gang Traoré et les troubles à l’ordre public qu’il engendre depuis des années ? Et ainsi de suite. On le voit, appliquée avec un minimum de cohérence et de rigueur, la logique de la « dette climatique » ne serait vraisemblablement pas à l’avantage de ceux qui espèrent aujourd’hui en faire la source d’une nouvelle rente.



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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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