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Comme n’importe quel dimanche…

La violence de la société américaine fascine, gardons-nous de continuer de l'importer chez nous


Comme n’importe quel dimanche…
Rencontre entre les Lions de Detroit et les Buccaneers de Tampa Bay, Detroit, 15 septembre 2024 © Allan Dranberg/Cal Sport Media/Sipa USA/SIPA

Le jour même de la nouvelle tentative d’assassinat contre Donald Trump en Floride, une fusillade faisait deux morts à Detroit après un match de football américain.


Le réalisateur Oliver Stone n’a eu de cesse de malmener les mythes américains dans sa filmographie. Avec L’Enfer du dimanche sorti en 1999, il s’attaquait au football américain, entre amour et haine du sport préféré de ses compatriotes. Le film s’intitule en anglais Any given Sunday, extrait d’un dialogue à la fin du film dans lequel l’entraîneur explique à son joueur que « N’importe quel dimanche tu vas gagner ou perdre, peu importe. La vraie question est… Sauras-tu gagner ou perdre comme un homme ? ».

Detroit espère toujours des temps meilleurs

Ce dimanche 15 septembre, comme n’importe quel dimanche aux États-Unis, la violence esthétisée des terrains de football américain est entrée en collision avec la violence réelle de la société américaine. Alors que l’équipe des Lions de Détroit venait de perdre à domicile contre l’équipe des Buccaneers de Tampa Bay, deux hommes étaient tués par balles en pleine journée, lors de la « fête » d’après-match se déroulant aux abords du stade de la ville, le « Ford Field ». L’enquête est en cours, mais c’est une altercation qui aurait dégénéré au sein de l’Eastern Market, l’historique et magnifique marché fermier urbain, le plus grand des États-Unis, situé juste à côté du stade des Lions. Comme n’importe quel dimanche, les États-Unis ont rappelé au monde leur folie meurtrière, leur culture des armes à feux, leur violence inconsidérée dans une scène digne d’un western moderne.

Les vieux démons de la ville de Détroit ressurgissent. Après avoir été frappée par la désindustrialisation brutale, Détroit a connu en 1967 des émeutes raciales parmi les plus sanglantes de l’histoire du pays, la perte de deux tiers de sa population, une criminalité record inspirant le décor du film Robocop de Paul Verhoeven en 1987, la corruption municipale avec un maire incarcéré et la mise en faillite de la ville en 2013…

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Pourtant, la ville fondée en 1701 par le Français Antoine Laumet, dit Antoine de Lamothe-Cadillac, connaît depuis quelques années une renaissance spectaculaire servant de modèle pour le renouvellement urbain par une gentrification positive et redistributrice. Ce qui remet en avant sa devise depuis l’incendie qui l’a ravagée en 1805 : « Nous espérons des temps meilleurs, elle renaîtra de ses cendres. » Que la fusillade de dimanche se soit tenue en plein lieu gentrifié, voire hipster, de la ville, est une ironique et cruelle confrontation de son passé de ville la plus dangereuse du pays et de ville en plein renouveau. Comme si l’ancien Détroit montrait à la meilleure version d’elle-même qu’elle survivait encore dans ses ténèbres intérieures.

Une scène vue mille fois au cinéma

Les images de la fusillade en plein rassemblement dominical et festif ont un quelque chose d’irréel. Les cris de la foule, les sirènes de la police, les corps des deux victimes étendus sur le sol derrière le cordon de sécurité, l’une des deux touchée à la tête et vêtue de son maillot des Lions ensanglanté… Tout ceci nous semble tiré d’une série policière de Netflix. Ces images nous sont devenues tellement familières par le biais de l’imaginaire imposé et globalisé d’Hollywood, que cela ne semble même plus réel…

Comme n’importe quel dimanche, ce même dimanche, la violence singulière des États-Unis s’est montrée sous un jour toujours plus spectaculaire, au-delà des plus improbables scénarios de films ou de séries, quand en Floride l’ancien président américain et candidat aux prochaines élections, Donald Trump, a été victime d’une seconde tentative d’assassinat en à peine deux mois alors qu’il jouait au golf.

Comme l’écrivait déjà Luigi Pirandello en 1920 : « L’américanisme nous submerge », et c’est encore plus vrai de nos jours à l’ère de la domination sans partage du rouleau compresseur hollywoodien, des géants du net et des commerces franchisés… La France a une fascination américaine particulière jusqu’à risquer de reprendre à son compte la fragmentation sociétale états-unienne née du clivage entre blocs sans tolérance ni aucun sens de la nuance, schématiquement l’utraconservatisme et le wokisme, ces deux délires qui s’opposent sur tout, qui dénient la réalité et le sens commun, et qui conduisent à semer les germes d’une guerre civile.

La violence XXL aux États-Unis, larger than life, plus grande que nature, incite donc à la prudence tant l’américanisme parfois pour le meilleur, mais souvent pour le pire, s’exporte trop facilement de notre côté de l’Atlantique.

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Avocat et Docteur en droit. Auteur de « Touchdown. Journal de guerre » (Éditions Les Presses Littéraires, 2024).

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