Guy Marchand publie Garçon, un pastis et un peu moins de vent, un roman qui lui ressemble bien
L’argentin de Belleville, inoubliable Nestor Burma du petit écran et hidalgo au registre grinçant, a écrit un roman qui lui ressemble. Celui d’un homme né avant-guerre, plein de tristesse et de furie, d’amertume et de flambe, de drôlerie et aussi de ces pudeurs enfantines qui ne disparaissent jamais, même à un âge très avancé. Un homme du passif en somme, d’une France qui se désagrège, chaque jour, un peu plus, d’un monde avec un semblant d’armature sociale et politique qui vole en éclats. Comment un seigneur du microsillon et de la pellicule peut-il survivre dans cet environnement saturé où la bêtise fait office d’étendard ? Ce type-là a été para, boxeur, prince du ring parade, cavalier et jazzman. Ce gitan aristo a déployé son charme de crooner sur toutes les scènes. Sa belle gueule des fortifs a aimanté la caméra de Broca, Pialat, Tavernier ou Tacchella. Chez lui, le coup de poing fut toujours une question d’honneur.
Guy Marchand fait le bilan
Le sens sacrificiel du devoir ne l’a pas quitté depuis ses plus jeunes années. Les guerres perdues auront longtemps été la boussole intérieure de toute sa génération, notamment celle en partance pour Alger la blanche. Ils partagent avec ces garçons en quête d’action ou d’affection, les mêmes dégoûts et tocades. Ils ont surnagé dans l’existence sans réussir toutefois à masquer leur profonde solitude. C’est pourquoi, ils nous touchent autant. Il y a des plaies que même la célébrité ne peut cicatriser complètement. La colère les réveille parfois au milieu de la nuit. Car, ces hommes-là susceptibles et droits, n’ont pas vécu comme vous et moi. A cheval ou au saxo, dansant le tango ou le mambo, Guy Marchand a alterné la poigne et la souplesse, la rigueur et le dilettantisme mondain, le cinéma d’auteurs et les comédies populaires. Et maintenant, il écrit.
A l’heure du bilan, l’acteur fait ses comptes, à sa manière, jamais pleurnicheuse, sans l’esprit sentencieux de ses contemporains. Un acteur actuel avec des prétentions d’auteur se serait rué dans l’humanisme dégoulinant et fallacieux par peur des représailles. Le conformisme intellectuel nous encercle. Marchand est d’une autre trempe. Chevalier sans peur, il a inventé une fiction à deux voix. Un dialogue franc et décorseté entre deux amis, Émile, légionnaire de 75 ans et Albert, médecin de presque 90 ans, deux écorchés qui méditent sur la brièveté de la vie et leurs nombreuses erreurs. Dans Garçon, un pastis et un peu moins de vent qui vient de paraître aux éditions Neige et Écriture, Guy Marchand narre la rencontre de ces deux êtres en fin de parcours sous le soleil fracassant de Provence. Un parfum d’anis plane sur les champs de tournesol. Il fait ainsi défiler une galerie très réussie de personnages esseulés. Les fracassées, les mauvaises graines, les têtes de pioche, les mal-aimées ont plus d’aspérités que les premiers de la classe. Guy Marchand a un côté vengeur et querelleur, défenseur viscéral des femmes. Son sang ne fait qu’un tour quand on ose les maltraiter. Ces portraits face à une violence quotidienne nous émeuvent.
On se laisse embarquer
Dans ce roman court et dense qui ne cherche pas l’esbrouffe stylistique, Guy Marchand a trop de respect pour la littérature, les vies simples traversent les pages. Elles se succèdent pour mieux nous parler de notre époque, entre rires et larmes. On sent toujours l’œil du grand lecteur qui surveille sa prose, pour aucun prétexte, il ne veut ennuyer ou intellectualiser. Il y a pourtant des accents de rédemption. Ce texte placé sous la figure imaginaire de Vincent van Gogh se déguste entre chien et loup. Quelques saillies réuniront les moralistes et les féministes : « Pourquoi les chiens vivent-ils si peu de temps et les cons aussi longtemps ? » ; « Nos deux compères avaient toujours été pour le peuple : simplement, ils ne voulaient pas vivre avec » ; « La mort des femmes est indécente et déplacée ». On se laisse embarquer dans le manège de Guy Marchand l’écrivain surtout lorsqu’il écrit si justement : « Émile aimait les chaussures anglaises, le lin irlandais, le cachemire écossais, le couscous marocain, les pâtes italiennes et les femmes du monde entier. Mais, par-dessus-tout, il adorait les vieilles voitures américaines. Elles lui rappelaient son passé d’enfant de la guerre ». Là, il est des nôtres.
Garçon, un pastis et un peu moins de vent de Guy Marchand – éditions Neige et Écriture
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