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Desproges sans rire, rire sans Desproges


Eh bien, je le rouvre ! Et pour prolonger la pensée de l’ami Desproges, je dirais même plus : on peut rire de Le Pen, mais pas avec Hitler !
Avant de vous indigner, et quitte à bousculer à vos habitudes, réfléchissez un instant : un tel exercice, en principe bienvenu, ne risque-t-il pas dans cette occurrence d’avoir des effets pervers ? J’entends d’ici Adolf moquer l’insoutenable légèreté de Jean-Marie, son amateurisme de jouisseur décadent, son tropisme démocratique récurrent – et surtout son manque de sérieux en matière de racisme. Etonnant, non ?

Au-delà de ce paradoxe – qui n’est d’ailleurs qu’apparent, comme toujours chez moi (cf. supra) –, je déteste intimement l’expression « n’importe qui ». Dans le contexte , en outre, elle marie subtilement l’exclusion idéologique au mépris humain – qui est bien pire encore.

On est toujours le n’importe qui de quelqu’un, Pierre ! Sur quelle colonne croyais-tu donc t’être haussé pour trier ainsi le bon grain de l’ivraie ?
En tout cas, redescends s’il te plaît, et remets-toi à ta place : tu es le premier à avoir violé ta propre règle, et c’est toi-même qui le racontes ! En 86, les premiers mots de ton dernier spectacle, c’était : « On me dit que des Juifs se sont glissés dans la salle ! » Succès dans le public, et malaise dans ta tête : « Les antisémites n’osaient pas rire, et les Juifs se sentaient obligés de rire » ; comme quoi, petit canaillou, quand on ne veut pas rire avec « n’importe qui », on ne met pas ses places en vente libre ! On fait un salon littéraire chez soi, entre gens choisis.
Mais Corneille l’a dit mieux que tout le monde : il n’y a pas de « n’importe qui ». « Je chéris ta personne et je hais ton erreur » : ce vers solitaire suffit à renverser la perspective. En vrai, il serait très con de juger les autres en fonction de leurs idées : que celui qui n’a jamais changé d’avis sur rien me jette la première pierre !

Un qui comprend très bien ça, par exemple, c’est Dieu. A ses yeux, comme disait saint Paul, « il n’y a ni Juif ni Grec, ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre ». Rien que des créatures, qu’Il aime toutes également parce qu’Il les a toutes créées par amour et à Son image… A ceci près que nous autres, les créatures, sommes un peu moins indulgentes les unes envers les autres que le Créateur [6. S’Il existe.] quand il pose son regard sur nous.

Le problème de Desproges, c’est qu’il a tenté un grand écart entre les impératifs catégoriques de sa double morale d’athée post-kantien et de Narcisse contrarié : regarder la mort en face certes, mais sous les applaudissements de la critique « autorisée » – et donc d’un public « intelligent »…
Dégât collatéral: le tombereau d’éloges confiscatoires déversé sur son cadavre par une « gauche divine  » dont il exécrait tout : le redoutable esprit de sérieux, l’insondable vacuité et les fatwas de papier.



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