Pierre Desproges nous a quitté il y a près de 30 ans et son œuvre est toujours très présente. L’année dernière sortait Encore des nouilles, recueil des chroniques — inédites en volume — que Cyclopède donna au magazine Cuisine et vins de France (mettant à la disposition du plus grand nombre la recette du « cheval melba »…). Il y a deux ans paraissait le premier recueil de textes universitaires consacrés à Desproges (fruit du premier colloque sur l’humoriste) : « Je suis un artiste dégagé » Pierre Desproges : l’humour, le style, l’humanisme.
Vient de paraître aux éditions Les Echappés, une maison adossée à Charlie Hebdo, un très intéressant recueil de témoignages de proches de l’humoriste délicatement titré Desproges bande encore, bourré d’anecdotes amusantes et d’informations souvent inédites venant éclairer plusieurs aspects du personnage (notamment le Desproges jeune journaliste à l’Aurore, ou les débuts de Cyclopède à la télévision…).
Il existe plusieurs biographies consacrées au grand homme : nous devons la première à un journaliste de l’AFP, Dominique Chabrol (Desproges, chez Flammarion en 1994) et la seconde, traversée d’une fantaisie toute rafraîchissante, à l’auteur Marie-Ange Guillaume (Desproges portrait, au Seuil en 2007). Le matériau réuni par Francis Scull dans ce Desproges bande encore (25 entretiens !) aurait pu constituer la base d’une nouvelle somme biographique ; le maître d’œuvre, qui est un ancien collègue journaliste de Desproges du temps de l’Aurore le reconnaît volontiers en préambule, mais préfère présenter modestement le résultat de son enquête comme une collection « d’anecdotes cueillies ça et là, au hasard de conversations avec ceux qui l’ont bien connu… »
Comme un Gaston Lagaffe à « L’Aurore »
La première chose qui frappe, dans cette liste de proches, c’est la quasi absence de stars du showbiz, montrant que malgré une exposition médiatique croissante l’histrion est toujours resté un peu en marge du star-system. Certes Luis Rego, l’homme de radio Claude Villers ou la comédienne Dominique Valadié (qui sera la partenaire de Pierre dans La Minute de Monsieur Cyclopède) pointent leurs nez, mais l’essentiel des voix que donne à entendre Francis Schull sont celles d’amis de jeunesse, d’anciens collègues journalistes, de voisins devenus complices ou de compagnons de bohème de l’humoriste.
Desproges, à 20 ans, apparaît comme un jeune homme rêveur, délicat, qui trimbale partout une guitare sur son dos (son idole est Brassens, et il écrit alors des chansons…), et rien ne l’émeut tant qu’un bouquet de fleurs. Arrivant de son limousin natal dans la rédaction de l’Aurore, il ne peut que nous faire penser au Gaston Lagaffe de Franquin, marginal et lunaire, évoluant dans la rédaction de Spirou comme un piéton curieux de tout ce qui l’entoure.
C’est Jacques Catelin, l’ami d’enfance qui dresse le portrait le plus touchant de Pierre, en séducteur impénitent : « A l’époque, Pierre, alcoolique, sous amphétamines, est un électron libre, totalement incontrôlable. (Invité par un ami dans la famille de sa future femme) Pierre embarque sa guitare (joliment rebaptisée le « bateau qui chante »), séduit la famille Mourain en chantant Brassens, et… emmène la petite Hélène à la plage. On ne les reverra pas pendant trois jours ». Hélène Desproges donne aussi sa version de la rencontre au sommet : « Nous avons vu arriver un type folklorique et rigolo, et qui buvait sec ». De la vodka poivre, souligne-t-elle. Avec le temps le goût de Pierre s’affinera et il peuplera sa cave de grands Bordeaux. « Ce charme, il l’entretenait en offrant des fleurs, ajoute Catelin. Pas des fleurs de fleuristes, non. Des fleurs que nous allions cueillir dans les champs. Et de préférence des marguerites. » Et de raconter une anecdote savoureuse : contrôlé par la police alors qu’ils cueillaient des fleurs sur le bas-côté d’une autoroute — en laissant l’auto sur la bande d’arrêt d’urgence — ils n’ont dû leur salut qu’au génie de Pierre disant qu’il était justement en train de préparer des bouquets pour les « dames » des deux cognes.
Odile Grand, une amie rencontrée à l’Aurore avec laquelle il avait des relations de nature potache raconte qu’il leur arrivait d’improviser ensemble des blues déchirant en lisant des annonces matrimoniales de La Vie catholique. Et de donner un exemple : « Monsieur abandonné par sa femme, trois enfants à charge, rien à manger, rien pour coucher, oh baby, baby, baby, rien pour s’éclairer, oh yeah, oh yeah ». Desproges et la guitare : c’était aussi une histoire sérieuse, comme en témoigne Madeleine Loisel-Bourdoiseau (autre copine de jeunesse) qui rappelle qu’elle avait fait passer des démos de Pierre à Serge Reggiani et aux Trois ménestrels. Sans suite. Ce qui éclaire mieux les quelques tentatives musico-discographiques ultérieures de Pierre – peu couronnées de succès (« A bobo bébé », 1977 et « Ça ça fait mal à l’ouvrier », 1983).
Sensible, débrouillard et intrépide
Le patchwork des portraits, la mosaïque des témoignages, laisse aussi transparaître un Desproges sensible, traumatisé à ses débuts de journaliste (comme le rappelle Evelyne Grandjean avec qui il a fait un peu de scène dans les années 70) par un reportage sur un crash aérien ; un Desproges humaniste, acceptant de jouer en prison (comme se le remémore son producteur Daniel Colling) et signant plein d’espièglerie le livre d’or du directeur de l’établissement par cette phrase : « C’est la première fois que je signe un livre d’or en tôle » (hahaha !) ; un Desproges courageux, claquant la porte du Petit rapporteur sur TF1 car Jacques Martin — ne supportant plus de se faire voler la vedette par celui qu’il voyait comme le Buster Keaton de la bande — lui censurait ses séquences ; un Desproges débrouillard voire intrépide, faisant ses débuts à Paris Turf sans rien connaître aux canassons, ou jouant en 1975 le rôle du fils d’Hitler dans le film Allez les Verts (connu aussi sous le titre impérissable : Nazi dans le rétro), chef d’œuvre qui a été présenté au marché du film de Cannes, mais n’a malheureusement pas été distribué. Une perte sèche pour l’histoire du n’importe quoi et un pan entier du desprogisme qui reste à redécouvrir.
Peu de proches se laissent aller au dithyrambe nostalgique ; Daniel Colling – le complice producteur – le fait, et bien : « Le talent, la puissance, la rapidité, il avait tout : c’était un surdoué. Il n’a jamais été remplacé. Dans d’autres genres, je n’ai rencontré que deux hommes qui puissent lui être comparés : Ferré et Reiser ». Colling devait produire un troisième spectacle de Desproges dont le nom de code était Ouanne manne chaud. L’humoriste n’eut malheureusement pas le temps de retrouver son public.
Notons que la kyrielle des témoignages de Desproges bande encore est complétée par une interview désopilante de l’animal par Noël Godin alias l’entarteur, réalisée en 1978, impliquant Georges Brassens, Thierry Le Luron, le commandant Cousteau, le roi des Belges, Jacques Lacan, le Château-Figeac 71 et Golda Meir !
Desproges bande encore, Francis Scull, Ed. Les Echappés, 123 pages.
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