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Despentes, mutante militante


Despentes, mutante militante

Virginie Despentes signe un « manifeste ». Le clip Love Affair est, selon Les Inrockuptibles, « sensuel et engagé » : des mannequins nues s’insurgent contre la faim dans le monde, d’étonnants cortèges de cyclo-nudistes alarment sur la pollution ou la vie chère, de fieffés coquins prônent la pornographie pour lutter contre la déforestation et des Belges facétieuses menacent de ne plus faire l’amour si la chienlit continue: aujourd’hui le cul milite, c’est sa dernière raison d’être.

Se déshabiller sans raison valable est même considéré comme une réelle faute de goût tandis que reculer toujours plus loin les limites de la pudeur va de soi quand c’est pour la bonne cause. La seule qui vaille : celle qui met à bas les anciens clivages, qui détruit, dans un élan équitable et paritaire, les hiérarchies obsolètes, qui bâtit un monde de respect où toutes les différences sont à la fois exhaussées et aplanies, singulières mais relatives. Alors on montre ses seins contre le cancer et ses fesses pour faire la nique à la corrida, on se dénude plus pour gagner plus, vendre de l’eau de toilette ou briser le « régime fasciste de la famille nucléaire », toujours à bon escient et surtout pas pour le plaisir d’offrir ou la joie de recevoir. Au cinéma, une femme ne se laisse plus jamais dénuder pour rien (si elle le fait, c’est qu’elle mijote quelque chose), aucune chance d’y rencontrer de l’insouciance, de l’exhibition candide ou du plaisir gratuit : les films de Walerian Borowczyk sont devenus incompréhensibles. De même les scènes de sexe de la plupart des romans contemporains sont-elles formatées comme autant de rebondissements aussi attendus que la mort du père ou l’errance en bord de mer ; aucune ne s’impose comme tragique et nécessaire, comme intensité pure faisant basculer le récit : la littérature de Pierre-Jean Jouve est dépassée

Séduction planifiée, rencontre organisée, relation minutée

Le credo néo-puritain est imparable : à l’instar du jogging matinal, le sexe n’est plus qu’une technique d’hygiène corporelle parmi d’autres. Il ne témoigne certainement pas d’une quelconque union sacrée, ne permet aucune transfiguration, n’est la clé d’aucune transcendance. Sa gratuité le dévalorise et ses sortilèges sont passés de mode. Sa pratique désacralisée laisse la place aux mythologies de sa représentation, nécessaires pour stimuler les pulsions du consommateur ou faciliter sa soumission aux nouvelles morales.

Toute société désire instrumentaliser le sexe (on n’a pas attendu Virginie Despentes et le féminisme pro-sexe pour cela), mais la nôtre est la première à le faire non par crainte de ses pouvoirs mais parce qu’elle les méconnaît, les néglige ou les refuse. Les pièges sociaux et les leurres psychologiques, obstacles à la vérité d’une rencontre, règnent désormais d’un bout à l’autre de la chaîne et le processus se répète inlassablement : séduction planifiée, rencontre organisée, relation minutée.

Pour l’érotisme, il faudra repasser : trop chronophage, pas évident à caser entre la réunion d’actionnaires, l’achat de fringues sur Internet ou la composition des playlists de la fête prochaine. L’abandon n’est tout simplement plus acceptable : il conduit immédiatement à la dépendance. On commence par se laisser regarder, on commence par s’abandonner au regard de l’autre, et après on se fait carrément aimer !

S’il n’entre pas dans le registre de la comédie ou de la politique, le sexe fait perdre du temps, c’est-à-dire de l’argent : c’est bien pour cela qu’il faut le tenir en respect.



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Ludovic Maubreuil est né en mai 1968. Hôte de diverses revues (Eléments, La Revue du Cinéma, Le Magazine des Livres), il collabore en outre au site collectif Kinok (www.kinok.fr). Il est l'auteur de Bréviaire de cinéphilie dissidente (Alexipharmaque, 2009)

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