Confiés à l’école, les enfants des Français n’en ressortent pas avec l’instruction qui leur est due. René Chiche le déplore dans son dernier essai et apporte sa pessimiste analyse.
Dans son livre C’est le français qu’on assassine (Éditons Blanche), Jean Paul Brighelli rapportait les consignes de certains Inspecteurs Pédagogiques Régionaux (IPR) de l’Académie de Versailles et qui tenaient des nouvelles directives de la réforme du collège voulue par le Ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Madame Vallaud-Belkacem. Ces consignes se résumaient à quelques injonctions progressistes et pédagogistes qui étaient comme le point d’orgue d’une méthodique déconstruction de l’école commencée quarante ans plus tôt : « l’apprenant ne doit pas écouter : il doit adopter une attitude active. Peu importe s’il y a du bruit dans votre classe : cela signifie qu’il y a de la vie ». Après avoir entendu cette première mise à jour de l’enseignement qui plaçait, selon le vœu d’un autre éminent destructeur, Monsieur Jospin, « l’élève au centre » – lequel élève était devenu entre-temps un « apprenant »- les professeurs apprirent que « la pratique de l’oral est absolument centrale dans les nouveaux programmes » et que le « papotis » (sic) en est sa forme originelle : « Il est très important de papoter.[…] L’enseignant n’est pas là pour délivrer un savoir vertical, mais pour inciter les apprenants à construire eux-mêmes leurs savoirs », babillèrent les IPR. Les mêmes IPR, ne rechignant devant aucun moyen pour travailler au corps ce « corps enseignant » parfois si rétif aux nouvelles réformes, décidèrent d’abattre brutalement leurs cartes : « La grammaire n’est pas une compétence. Ce qui compte c’est savoir s’exprimer en gros.[…] On perd les élèves, à les faire identifier des COD ou des verbes ». Dont acte.
« L’école n’instruit plus, voilà la vérité simple et scandaleuse à la fois » René Chiche
Ce n’était pas le début de la fin ; c’était déjà la fin, le résultat de quarante ans de réformes, de batailles politiques et de combats d’égo bourdieusiens, jospiniens, filloniens, meirieusiens et vallautbelkacemmiens, pour n’évoquer que les plus éminents bousilleurs de l’école. Aujourd’hui, René Chiche, professeur agrégé de philosophie, ne tire pas la sonnette d’alarme : il pousse un dernier cri d’indignation et de colère tandis que le train scolaire, sorti des rails, finit au ralenti sa course dans les airs, avant l’effondrement final.
Les ravages des ronds de cuir de la rue de Grenelle
Il faut lire La désinstruction nationale (Éditions Ovadia), surtout si l’on n’est pas un professeur ou si l’on ne veut pas rester aveuglé par les déclarations de Monsieur Blanquer qui faillit nous faire croire à un changement de cap radical. Aujourd’hui, nous dit René Chiche, un élève de terminale, après quinze ans de scolarité, dont trois à préparer le saint-bachot, écrit le nom de ce dernier ainsi : « Bac à l’oréat » ! La langue française est maintenant une langue étrangère pour un nombre croissant de nos lycéens : la faute à un apprentissage de la lecture et de l’écriture qui se fait en dépit du simple bon sens, de méthodes pédagogiques toutes plus idéologiques et inopérantes les unes que les autres, des heures de cours remplacées par des heures « d’éducation à la citoyenneté » (sic) – la dernière « éducation à la citoyenneté » consistant en la désignation d’au moins un éco-délégué par classe, lequel éco-délégué imitera les combats éco-suédois dans une langue approximative mais avec la bénédiction de proviseurs voulant « sortir du rang et se faire remarquer par toutes sortes de “projets” » pour prendre du galon, gravir les échelons hiérarchiques et finir par siéger dans toutes les instances de destruction de l’école possibles.
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Nous sommes tous coupables. René Chiche n’accable pas ses élèves mais tous ceux qui les empêchent de se voir offrir la possibilité de développer leur intelligence jusqu’au plus haut de leur possibilité individuelle : les parents, réunis en syndicat du crime, toujours plus démagogiques, toujours plus laxistes ; les professeurs, qui se laissent parfois trop facilement dicter la conduite de leurs cours et la manière de noter leurs élèves, et qui, pour certains, participent activement et syndicalement à la désinstruction ; les proviseurs, qui ne rechignent pas à porter vertement la parole ministérielle et à menacer le professeur récalcitrant ; les recteurs et tous les gardiens du temple ministériel, qui contraignent le corps enseignant avec des directives contradictoires, des réformes innombrables, des avertissements et des blâmes injustifiables qui dépriment certains professeurs et poussent d’autres au suicide (les chapitres consacrés à l’instituteur de Malicornay ou à Jean Willot, un autre instituteur, vous diront tout sur ces hussards maudits de la République et sur la basse estime en laquelle les tiennent les ronds de cuir de la rue de Grenelle).
Élèves de terminale en état d’inculture inacceptable
« Vous êtes faits pour apprendre à lire, à écrire et à compter. Apprenez-leur donc à lire, à écrire et à compter. Ce n’est pas seulement très utile. Ce n’est pas seulement très honorable. C’est la base de tout », disait Charles Péguy à ses chers hussards noirs de la République. Il leur demandait de n’exercer aucun gouvernement des esprits, de n’imposer aucune politique ni aucun système quelconque, mais d’apprendre seulement, ce qui est beaucoup, ce qui est énorme, ce qui est « la base de tout », à lire, écrire et compter. Depuis quarante ans, nous dit en substance René Chiche, nous faisons très exactement l’inverse ; et nous voyons maintenant des instituteurs, devenus professeurs des écoles mais oubliant leur tâche première, ne plus apprendre à lire et à écrire mais « s’improviser professeurs de philosophie et conduire dès la maternelle des “discussions à visée philosophique” ! » De fait, des élèves quasi-illettrés, n’ayant jamais redoublé une classe, parviennent en terminale « dans un état d’inculture inacceptable » et apprennent « par cœur des cours auxquels ils ne comprennent strictement rien ».
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Il faut lire René Chiche parce qu’il est un professeur de cette matière qui est « une institution dans l’institution », la philosophie, et qu’il l’enseigne dans un lycée « moyen », devant des élèves « moyens » qui lui sont une « compagnie infiniment plus agréable que celle de bien des adultes » et qui sont représentatifs d’une grande majorité des élèves de ce pays. N’écoutez pas nos politiques – qui ne lisent plus depuis longtemps, qui parlent mal, qui écrivent comme ils jargonnent, qui se prennent pour des demi-dieux ; ni nos « scientifiques » des « sciences de l’éducation » – qui se bousculent au portillon des âneries pédagogiques et se prennent, eux, carrément pour des dieux. Ils vous diront tous que tout va bien, que l’école s’adapte aux temps nouveaux, que ce n’est pas pire qu’avant. Ils mentiront. Lisez La désinstruction nationale. « Reconstruire l’école est l’affaire des professeurs, non des politiques », conclut René Chiche qui voit le train scolaire sortir des rails et qui se demande quel Titan pourra le remettre sur la voie qu’il n’aurait jamais dû quitter, celle du simple bons sens. Car il ne s’agit plus de « refonder l’école » (ces expressions décharnées disent presque tout de l’incurie de nos plus démagogiques ministres et « savants » de l’éducation) mais de « recruter d’excellents maîtres et de les laisser faire leur travail », « voilà ce qui produirait davantage de fruits à tous les niveaux de l’institution que les chamboulements qui lui ont été infligés jusqu’à présent et qui ne sont parvenus qu’à détruire les vocations et assécher l’enthousiasme des acteurs, ce dont l’école aujourd’hui ne parvient plus du tout à se remettre ».
La désinstruction nationale, René Chiche, les éditions Ovadia
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