La sentence est tombée. Les cinq groupes de travail[1. « Connaissance reconnaissance », « Faire société commune dans une société diverse/Égalité réelle », « Habitat », « Mobilités sociales », « Protection sociale ».] installés en juillet par le Premier ministre pour proposer les axes de refondation de la politique d’intégration ont remis leurs conclusions. La France est reconnue coupable des pires ignominies, et elle ne bénéficie d’aucune circonstance atténuante. Nous savons à présent à quelle sauce l’identité française sera mangée. Jean-Marc Ayrault « salue la grande qualité de ces travaux et remercie l’ensemble des personnes qui y ont contribué ». Ce travail illustre un bel esprit de coopération : les ministres concernés ont été étroitement associés à la composition des groupes. Une saisissante homogénéité se dégage des différentes contributions, comme si la diversité, célébrée de toutes parts, ne devait surtout pas concerner les opinions.
Il est reproché à l’École de la République d’avoir enseigné « jusqu’aux années 1960, une histoire “qui avait pour tâche de communiquer l’amour de la patrie par une représentation du passé autour de la seule France” ». Circonstance aggravante : encore de nos jours, « l’histoire enseignée se réfère à des figures incarnées qui demeurent très largement des “ grands hommes ” mâles, blancs et hétérosexuels. » De plus les enseignants, otages de « stéréotypes et préjugés » auraient opéré une hiérarchisation des élèves en fonction de leurs origines ethno-raciales.[access capability= »lire_inedits »] Sans compter qu’ils ne se seraient pas « spontanément mobilisés pour souligner les effets contre-productifs de la circulaire Chatel » de mars 2012, qui évoquait la laïcité et s’était « attachée à rappeler de façon descendante et universelle ses principes », quand il eût fallu « réfléchir aux conditions de développement d’une conception inclusive et libérale de la laïcité, d’une laïcité commune, sensible à la fois aux contextes et aux conséquences de sa mise en pratique ».
C’est donc en toute logique qu’est recommandée la « suppression des dispositions légales et réglementaires scolaires discriminatoires, concernant notamment le “ voile ” ». Comprenez : la loi de 2004 doit être défaite, nonobstant le fait que les Français ont plébiscité la Charte de la laïcité à l’École, et que 83 % soutiennent l’idée d’une loi qui interdirait le port de signes religieux ou politiques dans toutes les entreprises privées. Dans ces statistiques se trouvent aussi des Français de confession musulmane, qui savent que la laïcité garantit la paix civile et conjure les guerres confessionnelles telles que l’Europe en a connues et qui ébranlent de nos jours le monde musulman.
La police, de son côté, est accusée d’avoir pratiqué « un traitement collectif sur des critères infondés en droit ». Aussi convient-il de prendre des « mesures énergiques pour introduire du discernement dans les modes d’intervention de la police ». « De ce fait, il s’agit là d’un des chantiers majeurs pour l’Autorité de lutte contre les discriminations sociales et ethnoraciales » qui devra voir le jour. Les policiers ne seront pas seuls à bénéficier de sa bienveillante attention, car, contrairement à la conviction d’Albert Camus, nommer les choses ajoute au malheur du monde : en vertu de quoi, il devient crucial de « revisiter tous les registres lexicaux utilisées au sein et par les institutions d’action publique tout comme par les médias et les partis politiques » et d’« étudier le recours à la sanction pour contraindre à la non-désignation » car « désigner, c’est assigner et c’est stigmatiser ». Il va de soi, bien entendu, que « seules les personnes devraient avoir le droit de se désigner elles-mêmes, si elles désirent valoriser une filiation, un attachement, une identité ».
La possibilité du « recours à la sanction pour contraindre à la non-désignation » devra être étudiée et un « délit de harcèlement racial » institué. La tâche de l’Autorité pourrait être titanesque, car il faudra par ailleurs « évaluer les programmations et actions de toutes les structures artistiques et culturelles de spectacles vivants, de musées, de médiathèques, de centres d’art…, afin de déterminer si les objectifs de connaissance et reconnaissance de la culture plurielle de la société française sont effectifs dans les propositions aux publics. » L’étendue des discriminations est le point de départ de la refondation de la politique d’intégration et constitue le fil conducteur des recommandations. Elle commande l’introduction dans le droit français du « sujet collectif » et l’instauration du « recours collectif ». Il faut rappeler ici le bilan des activités de la Halde en 2009 : sur 10 545 réclamations, 177 dossiers avaient donné lieu à un règlement à l’amiable, 212 à une intervention devant les tribunaux et seulement 8 à une sanction pénale. De telles statistiques peuvent-elles justifier la violence de la charge menée contre la société française et la création d’une « Cour des comptes de l’Égalité » chargée de veiller dans les faits à l’application d’une politique de discrimination positive tour à tour baptisée « égalité réelle », « égalité des chances » ou encore « promotion de la diversité » ?
Les Français sont priés de changer de regard, donc d’identité, puisque le regard n’est rien d’autre que la matérialisation de l’identité : Je pense, donc je suis. Même la langue française, considérée par les Français comme l’un des attributs majeurs de leur identité, pourrait un jour voir sa position remise en cause : « La reconnaissance des langues, de toutes les langues, constitue un enjeu de reconnaissance des personnes. Encore faut-il que ces langues soient reconnues de manière identique. » La France, tour de Babel en devenir ? L’identité française doit céder la place à un « Nous inclusif et solidaire » et « la rencontre interculturelle doit donc être conçue comme un échange entre personnes, ou groupes de personnes, de différentes cultures permettant l’émergence d’un espace de négociation ». Qu’adviendra-t-il du vivre-ensemble ? Il est concédé que « l’un des enjeux majeurs, pour tout citoyen mais plus encore pour les institutions, est en conséquence l’apprentissage d’un savoir-faire avec l’hétérogénéité et dans la conflictualité ». Traduit dans la langue de Molière, cela signifie que les Français devront se résoudre, de gré ou de force, à la conversion de leur pays au multiculturalisme. Le plus effrayant est qu’ils sont sommés de s’en réjouir et de considérer que c’est une chance, eux qui se vivent pourtant, plus que tout autre peuple européen, comme un peuple indivisible ; indivisibilité sur laquelle l’État veille depuis des siècles. Oui, mais l’État est en faillite. Voilà le vrai problème, celui qui a engendré tous les autres. Publié au Journal Officiel en août, un décret[2. Décret n° 2013-728 du 12 août 2013 portant organisation de l’administration centrale.] a entériné la fin de la politique de l’intégration.
Le Secrétariat général chargé des questions d’intégration devient la Direction des Étrangers, qui a pour mission d’accueillir puis de veiller sur tous ceux qui ont mis pied sur le sol français. Et ensuite ? Il ne reste qu’à octroyer un peu plus tard des papiers d’identité, pour que la population française s’en trouve miraculeusement accrue. Les groupes de travail n’auraient- ils finalement été là que pour servir de caution ? Reste à savoir si le peuple français – dans lequel j’inclus les enfants de l’immigration extra européenne qui se sont intégrés – acceptera la sentence, ou la rejettera pour porter l’affaire devant le tribunal de l’Histoire. De tous temps, et sous tous les cieux, ce sont les peuples qui écrivent leur destin.[/access]
.*Photo : LANCELOT FREDERIC/SIPA. 00616979_000002.
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