Le « séparatisme » menace la nation française. Et la France n’est pas immortelle. Cette contribution aborde la question de la pente idéologique aboutissant à la pensée « woke » et au racialisme, avec pour toile de fond la conversion de la gauche à ces nouveaux concepts, dont elle a facilité l’émergence, et qui mettent au défi notre modèle civilisationnel.
La mise en lumière du phénomène est, à elle seule, problématique. L’ouvrage collectif Les territoires perdus de la République, paru en 2002 sous la direction d’Emmanuel Brenner, montrait déjà l’ampleur du sinistre et suscitait les critiques acerbes d’une pensée progressiste toute acquise au principe d’un droit à la différence. Les ferments du séparatisme avaient été minutieusement analysés par Alain Finkielkraut dès 1988 dans sa Défaite de la pensée. Il rééditait son « délit d’opinion » avec l’Identité malheureuse parue en 2013. Cette ultime alerte provoqua un déchainement de réactions outrancières. La violence de la charge était à la hauteur de l’évènement : elle était livrée contre le fascisme qui entrait à l’académie française ! Bérénice Levet, spécialiste d’Hannah Arendt, dresse le même constat et en identifie les origines dans Le crépuscule des idoles progressistes. Elle dénonce un système éducatif qui renonce à transmettre les savoirs, embrigadé par le « pédagogisme », gouverné par « la pensée 68 », dénigrant l’autorité et bannissant toute référence au passé. Il faudra attendre le livre de Jérôme Fourquet, L’archipel français, pour qu’une étude sociologique et démographique vienne objectiver ce que d’aucuns déplorent et que d’autres attendent : la dislocation de l’Etat-nation en entités sociologiques, ethniques et religieuses disparates.
Comment en est-on arrivé là ? Pour le savoir, il convient de retracer l’itinéraire d’une nation en détresse qui a suivi une pente à trois niveaux : elle a glissé d’un droit à la différence au communautarisme et de celui-ci au racialisme avec pour guide une gauche convertie aux nouveaux concepts.
Du droit à la différence au communautarisme
L’affirmation d’abord d’un droit à la différence promu dans les années 1980, a encouragé des Français issus de l’immigration à revendiquer l’expression, dans l’espace public, de leur culture d’origine. Le port du voile dans les établissements scolaires (affaires des collégiennes de Creil en 1989), le burkini et la non mixité dans les piscines municipales illustrent une volonté de rompre avec le modèle laïque. La promotion du concept de « société inclusive » a relégué au rang des antiquités le modèle intégrationniste républicain (voir en ce sens le rapport de Th. Tuot, Pour une société inclusive, 2013). Ces revendications ont semé la discorde dans le « bloc des gauches » que l’adoption de la loi du 15 mars 2004 sur le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, a révélée au grand jour.
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Vient ensuite le stade de la victimisation. Les relais d’opinions ont installé l’idée que la France, en raison notamment de son passé colonial, devrait adopter la posture d’un coupable éternellement débiteur d’un devoir de repentance. Elle se pose ainsi elle-même en entité non-désirable qui doit expier les fautes du passé et adapter ses us et coutumes à celles des nouveaux arrivants. Pourquoi voudrait-on alors agréger notre destin à une nation tant décriée ? Des politiques publiques ont organisé l’oubli de soi. A titre d’exemple, des pans entiers de l’histoire de France ont été évincés des programmes scolaires, jusqu’à rendre optionnel en 2015 l’enseignement les Lumières. Dimitri Casali décrit dans son Altermanuel d’histoire de France (éd. Perrin, 2011), ce que les collégiens n’apprennent plus. Les périodes clés, les grands personnages, les institutions et les textes fondateurs tel que le traité de Verdun (843), ne sont plus ou presque plus enseignés. La « cancel culture » développe donc la stratégie d’effacement du passé et de substitution. Or, l’identité française et la civilisation européenne plongent leurs racines dans les profondeurs de l’antiquité gréco-romaine, du moyen-âge chrétien et des temps Modernes avec les Lumières. Les humanités, porteuses de l’identité culturelle que chaque citoyen en devenir est appelé à assimiler, sont les premières disciplines sacrifiées sur l’autel du pédagogisme et de l’efficacité économique. Le désenchantement du destin français a commué la terre d’accueil en un espace de conquête. Pour les tenants de statut quo, seule la question des moyens serait pertinente face au communautarisme, alors que l’éducation nationale reste le premier poste budgétaire après le service de la dette !
Succède enfin l’étape de la proscription au terme duquel tout discours dissident de la doxa dite progressiste est voué aux gémonies. Les doctrines de l’antiracisme exercent une police de la pensée : la critique de l’islamisme politique est opportunément réduite à de l’islamophobie. Le phénomène de radicalisation dans les services public est recouvert d’un voile pudique. Mais, les attentats de 2015, et la succession des rapports et enquêtes (voir par exemple : La fabrique de l’islamisme, Institut Montaigne, rapport septembre 2018), ont montré que le salafisme occupe les territoires laissés en friche. Les réactions à l’attentat perpétré contre les rédacteurs du journal satirique Charlie Hebdo ont été moins unanimes qu’il n’y paraissait. Pour les tenants de l’islamo-gauchisme, les blasphémateurs auraient contribué à provoquer leur triste sort. La fracture idéologique au sein de la gauche met en péril son ADN politique. Elle s’est construite contre le cléricalisme et autour de la laïcité. Pourquoi a-t-elle muté face à l’islamisme politique ? Sans doute perçoit-elle l’islam comme une religion d’opprimés, dont les fidèles sont réputés ne pas avoir (encore) acquis le sens critique leur permettant d’intégrer la controverse et de supporter les affronts, sans les vivre comme de nouvelles discriminations. Que de condescendance et d’aveuglement coupables, là où tant luttent au péril et parfois au prix de leur vie pour la sauvegarde de la liberté d’expression et de l’égalité homme-femme ! Sous l’impulsion de la fondation Terra nova (Gauche quelle majorité électorale pour 2012 ?), cette gauche est devenue un conglomérat de revendications communautaristes disparates sans autre cohérence que la fin de l’état-nation qu’elle a pourtant contribué à édifier. Elle substitue, selon la formule empruntée, la lutte des races à la lutte des classes ! Ce nouveau paradigme lui est fatal car elle se trouve idéologiquement désarmée face à la poussée islamiste qui met au défi notre modèle culturel et civilisationnel.
Il est évidemment possible de ne pas être d’accord avec la ligne éditoriale de tel ou tel autre organe de presse. Mais seules les armes du droit peuvent être opposées. Dans un Etat de droit, le blasphème n’est pas un délit. Il est souvent vulgaire. Mais, la liberté d’expression et le principe de laïcité imposent d’accepter des discours susceptibles de heurter les croyances. En effet, la sécularisation opère une séparation entre le domaine temporel où s’organise la société civile d’ici-bas, et la sphère spirituelle et religieuse où règne la transcendance de l’au-delà. Ainsi, la loi permet l’expression de la foi, mais la foi ne soumet pas la loi.
Du communautarisme au racialisme
Face à l’insécurité culturelle, cette contribution revendique le droit à une continuité historique que nous avons le devoir de proposer à celles et ceux qui veulent en suivre le destin. Le multiculturalisme n’est donc pas la voie proposée. Il porte en germe la fragmentation. Il est donc légitime de s’y opposer. Mais, toute résistance est aujourd’hui accusée de nourrir un dessein xénophobe, raciste et « islamophobe ». Or, en réalité, le racisme est instrumentalisé pour verrouiller le débat et jeter le discrédit sur tout discours dissident de celui porté à l’intelligentsia. Le racisme est une doctrine qui professe l’inégalité des races – comme le nazisme –, ou développe, plus ordinairement, des préjugés raciaux attachant des caractères et des comportements propres à chaque groupe ethnique. Par ailleurs, convoquer le concept de race pour expliquer l’ordre du monde est de toute évidence faire preuve de racisme. Ainsi entendu, il est un phénomène trop grave qui outrage la nature humaine pour que le terme n’en soit pas banalisé. Vouloir la continuation de la France dans le sillage de ses 1500 ans d’histoire n’est en rien identifiable au racisme. Refuser ce continuum vise à oublier l’esprit qui l’anime dont la vocation est de rayonner, non à l’échelle d’une communauté juxtaposée à d’autres offrant des modèles concurrents, mais dans toute la plénitude de son espace et par-delà ; partout où le génie français a dessiné les paysages, façonné l’architecture et les arts, développé les industries et inspiré les modes de vie, irrigués par sa langue. Albert Camus pouvait proclamer qu’il n’avait qu’une patrie, la langue française. Cette Histoire n’est pas un bien de consommation jetable. Elle est le fruit d’une longue sédimentation de strates indivisibles qui appartiennent aussi aux générations futures. Alexis de Tocqueville avait cette intuition : « Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres ».
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Seule la réalité compte, et les faits sont têtus. Le rapport du défenseur des droits publié en juin 2020 montre que des personnes d’origine étrangère ou perçues comme telle, sont victimes de discriminations « systémiques » (Discriminations et origines : l’urgence d’agir). L’auteur estime notamment que l’objectif de la diversité, qui consiste à assurer la représentation des « minorités visibles », n’a eu d’autre effet que de les assigner à leur origine. La politique d’intégration est dévalorisée à gauche comme étant la source d’une « violence symbolique ». Néanmoins, le processus qui consiste à adopter les valeurs du pays d’accueil ne signifie pas l’abandon de sa culture d’origine. C’est par-delà les différences, trouver le ralliement. L’intégration peut être vécue comme une rencontre entre le désir d’appartenir et la volonté d’accueillir pour vivre un destin commun. Dans ce cadre, la lutte contre les discriminations peut déployer toute son efficacité. C’est une mission impossible lorsque la différence est brandie en étendard identitaire, victimaire et séparatiste.
Importées des campus nord-américains, les théories racialistes adoptent la posture « décoloniale » face au « privilège blanc ». Dans cet ordre d’esprit, l’esclavagisme serait, au mépris de la réalité historique, consubstantiellement lié à la civilisation occidentale et ontologiquement attaché à l’homme blanc. Les traites orientales et africaines sont ainsi ignorées pour les besoins de la cause, alors que ce crime contre l’Humanité est aussi le crime commun de l’Humanité (voir en ce sens l’ouvrage de Pascal Bruckner, Le coupable presque parfait. La construction du bouc émissaire blanc, Grasset, 2020). La focalisation sur la traite transatlantique a donc une visée politique : abattre l’Occident incarné par la figure tutélaire de l’homme blanc ! Ces théories sont largement relayées dans la sphère universitaire des sciences humaines professant dans un splendide isolement. Elles opèrent un changement de paradigme qui signe une inversion des valeurs. C’est désormais la droite qui reprend le flambeau de l’intégration avec pour toile de fond l’universalisme républicain et mettant en scène le roman national, en réponse à la « fable multiculturaliste » (Eugénie Bastié, La guerre des idées. Enquête au cœur de l’intelligentsia française, Robert Laffont 2021), dont le « wokisme » et « l’intersectionalité » sont les avatars. Le néo-féminisme prospère sur les oripeaux le l’homme hétérosexuel blanc et précipite sa disgrâce dans une guerre des sexes. Le wokisme est une doctrine politique qui vise à ce que les groupes minoritaires coalisés imposent leurs mœurs, et leurs modes de pensée en s’arrogeant le droit à ne pas être offensé. Il s’inscrit dans le militantisme racial en lutte contre les discriminations systémiques, qui coloniseraient l’esprit et l’action du groupe ethnique majoritaire où règne le patriarcat blanc. Mathieu Bock-Coté évoque « la révolution racialiste » (La cité, 2021) et en identifie le processus et les ressorts idéologiques. La pensée « woke » indigéniste et décoloniale opère un coup d’Etat de droit des minorités en instituant un empire du « ressenti opposable » en lieu et place de la rationalité juridique et parfois même de la présomption d’innocence. Face à ce phénomène, la résistance des Québécois est admirable.
Cette pente douce à trois plateaux a permis d’habituer les esprits. Le dernier, celui du racialisme, provoque un réveil en sursaut d’une nation en détresse. La droite a jusque-là opposé, soit des protestations d’usage qui confinent aux « accommodements raisonnables », soit des intempérances dérisoires. Elle a souffert du syndrome de l’imposture en tremblant devant les oukases moralisateurs d’une gauche désorientée. Il lui revient désormais de relever le défi civilisationnel face notamment à une immigration incontrôlée. Le fondateur du structuralisme, Claude Levi-Strauss alertait sur les effets d’une « civilisation mondiale destructrice de ces vieux particularismes auxquels revient l’honneur d’avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie » et admettait que « toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs, pouvant aller jusqu’à leur refus sinon même à leur négation » (Conférence Race et culture, UNESCO, 1971). Régis Debray s’inscrit dans cette logique lorsqu’il prononce son Eloge des frontières (Folio, 2013).
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Il serait tellement stupide de nous rassembler autour de la formule surannée « nos ancêtres les Gaulois » ! Et pourtant, toute civilisation a ses mythes fondateurs. Le Général de Gaulle pouvait alors convoquer « la France éternelle » dans son discours prononcé lors de la Libération de Paris le 24 août 1944, car « l’âme de la France » (Max Gallo L’âme de la France. Une histoire de la nation des origines à nos jours, Fayart 2007) s’est forgée dans le tréfonds de son histoire. Il en sera ainsi aussi longtemps que les individus qui la composent auront le dessein d’accomplir de grandes choses ensemble.
Le patrimoine culturel commun, par-delà le groupe ethnique et religieux, est celui de la nation si bien définie par Ernest Renan avec son fameux « plébiscite de chaque jour » (conférence 1887).
L’heure de la refondation a donc sonné, car nous savons avec Paul Valéry que les civilisations sont mortelles (La crise de l’esprit, 1919).
La France n’est pas démunie et offre un foyer de résistance nourri par son patrimoine culturel. C’est une affaire de volonté.
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