Entre la sortie du beaujolais nouveau et l’élection de Miss France, la cérémonie du Ballon d’Or fait partie des petits rituels de la fin d’automne. Chaque année, à Paris, le monde du football arbore ses costumes les plus criards pour décerner le titre du meilleur joueur du monde, étrange entreprise individualiste dans un sport à première vue collectif…
Après une période (2010-2015) durant laquelle les sélectionneurs et les capitaines des sélections prirent aussi part au vote, le prestigieux prix du Ballon d’Or est de nouveau décerné par les journalistes, électeurs issus de tous les pays du monde. À mesure qu’il s’est internationalisé (au départ, c’était une récompense européenne), le trophée fait l’objet depuis quelques années d’accusations de racisme à l’égard des joueurs africains.
On retrouve les premières traces de ces polémiques en 2005, avec l’attaquant camerounais Samuel Eto’o, qui s’était élevé contre sa dixième place, estimant mériter beaucoup mieux. Le joueur, qui se distinguera dans sa carrière autant par son jeu que par son boulard surdimensionné, déclara ainsi : « Je ne suis pas parmi les trois premiers, pourtant j’ai autant de mérites ou plus que certains… Depuis que je suis au Barça, qui a fait mieux que moi ? Ce que ne tolèrent pas les Français, c’est qu’un Africain triomphe sans être passé par chez eux. S’ils ne sont pas contents, qu’ils aillent voir leur mère (…). Ceux qui ne croyaient pas en moi me lèchent le cul aujourd’hui pour une interview ». Cette allusion aux Français tient au fait que le Ballon d’Or a été créé par France Football en 1956 ; Samuel Eto’o exagérait sans doute l’importance du journal français dans le vote final. En réalité, toutes les nations européennes de football étaient représentées par un journaliste électeur et la part française ne pesait qu’1/52ème des voix. Passé brièvement durant son adolescence par les centres de formation du Havre et du Paris Saint-Germain mais n’ayant pas pu s’y installer puisque sans-papier, Samuel Eto’o semble avoir gardé une rancœur tenace contre la France.
Gilles Verdez antiraciste de plateaux TV
Une quinzaine d’années plus tard, ces polémiques refont surface. À peine plus feutré que l’ancien attaquant du FC Barcelone, Gilles Verdez, jadis chroniqueur dans l’émission On refait le match d’Eugène Saccomano, s’était emporté à son tour, en décembre 2019 [1]: « Si Messi, joueur extraordinaire au demeurant, est Ballon d’Or, ce Ballon d’Or mythique, cette récompense adulée, perd toute crédibilité. On peut aussi lui donner à vie, mais le joueur de l’année est Sadio Mané [international sénégalais qui avait gagné cette année-là la Ligue des Champions]. Visiblement sa couleur dérange. Je suis révolté ». Habib Beye, ancien international sénégalais, avait précisé à son tour [2] : « Mais en même temps, je vais vous dire, on va repartir sur ce qu’on a déjà dit. Peut-être que les gens verront ça comme de la victimisation : il est Africain, et c’est pour ça qu’il est quatrième. Vous pouvez le tourner dans tous les sens, c’est pour ça qu’il est quatrième »
Après deux ans d’absence (France Football avait annulé le Ballon d’Or en 2020 à cause du Covid), le trophée a fait son retour cette année, avec son nouveau lot de débats. Des voix se sont élevées contre le nouveau trophée remporté par Leo Messi. Patrice Evra, ancien capitaine de l’équipe de France, parle de « corruption ». Le titre de meilleur gardien de l’année – décerné à l’Italien Gianluigi Donnarumma, champion d’Europe avec sa sélection, plutôt qu’au Sénégalais Edouard Mendy, vainqueur de la Ligue des Champions avec Chelsea – fait aussi débat. Habib Beye est une nouvelle fois monté au filet pour défendre son compatriote. Pourtant, le portier transalpin a été élu meilleur joueur du dernier Euro et s’il pouvait y avoir match entre les deux hommes, la remise du titre au gardien du PSG n’a rien de scandaleux.
Plusieurs joueurs de couleur ont en réalité déjà remporté le prix
« [Mendy] est Africain et Sénégalais, et sa sélection ne rayonne pas comme l’Italie peut rayonner aujourd’hui en aura médiatique, dans tout ce que ça représente [3] » précise Beye. Il est vrai qu’appartenir à une grande nation qui brille dans les grandes compétitions internationales n’a jamais été un handicap pour décrocher le Ballon d’Or ; même si en 1995, l’attaquant libérien George Weah avait fini premier au classement devant le Finlandais Jari Litmanen, troisième. Car ceux qui veulent voir du racisme dans l’attribution du Ballon d’Or se gardent bien de rappeler que le trophée a été remis une fois à un joueur africain, en 1995 donc, l’année même où France Football étendait le prix aux joueurs non-européens. En remontant un peu dans le temps, on peut également citer l’international portugais né au Mozambique, Eusebio, lauréat en 1965. Et d’autres joueurs de couleur l’ont emporté, comme le Néerlandais Ruud Gullit et les Brésiliens Ronaldo, Rivaldo et Ronaldinho.
En réalité, jusqu’en 1995, le Ballon d’Or était à ses origines un titre européen ; c’est la raison pour laquelle ni Pelé ni Diego Maradona ne l’ont remporté. Les règles du Ballon d’Or ont évolué en faveur d’un élargissement toujours plus grand ; en 2007, les journalistes des autres continents ont fait leur apparition dans le jury. Ainsi, on peut consulter chaque année, début décembre, dans les colonnes de France Football, les choix des journalistes de la Corée du Nord, du Bhoutan et de la Somalie. Une autre chose que ne soulignent jamais Habib Beye, Gilles Verdez et consort : les pays africains participent eux-mêmes au vote, et avec 48 électeurs sur 170, ils représentent plus d’un quart du scrutin ! Et leurs suffrages sont allés cette année en priorité vers le Polonais Lewandowski, l’Argentin Messi et l’Italien Jorginho. Le paradoxe, c’est qu’il existe toujours un Ballon d’Or africain (remporté en 2019 par Sadio Mané) mais il n’existe plus de Ballon d’Or européen.
Nos belles âmes oublient surtout qu’il n’y a qu’un seul lauréat par an, et qu’un paquet de grands joueurs sont passés à côté : l’Espagnol Raul, le gardien de but Gianluigi Buffon, les défenseurs Paolo Maldini et Roberto Carlos, l’ancien bleu Thierry Henry, sans compter l’attaquant hongrois Ferenc Puskas, star des années 1950-1960. Ces absences dans le palmarès sont ni plus ni moins injustes que celles de Samuel Eto’o, Didier Drogba ou Sadio Mané. En 2020, le prix n’a pas été décerné, et le monde a continué de tourner – plus ou moins rond.
[1] https://www.90min.com/fr/posts/6509144-ballon-d-or-gilles-verdez-incendie-sur-twitter-apres-son-commentaire-polemique
[2] https://www.footmercato.net/a5645620165011133168-ballon-dor-2019-habib-beye-sinsurge-contre-le-classement-de-sadio-mane
[3] https://www.football365.fr/ballon-dor-donnarumma-mendy-furieux-beye-denonce-une-hypocrisie-10002052.html#item=1
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