Chaque jour qui passe annonce aux citoyens de l’Union Européenne une mauvaise nouvelle de plus. Aussi, ce n’est pas sans une ironie amère que l’on se souvient de la belle phrase de Saint-Just, prononcée dans un rapport à la Convention, en mars 1794 : « Que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le territoire français; que cet exemple fructifie sur la terre; qu’il y propage l’amour des vertus et le bonheur! Le bonheur est une idée neuve en Europe ».
L’archange de la Révolution doit se retourner dans sa tombe au spectacle de peuples victimes d’une crise aussi inédite que profondément anxiogène. Je ne parlerai même pas de la dégradation de la note italienne par l’agence Standard and Poor’s, alors qu’un plan d’austérité venait d’être voté. Jusqu’à preuve du contraire, l’Italie, comme les autres nations européennes, est une démocratie. Des élections ont régulièrement lieu et rien n’empêche les citoyens de rebrancher leur cerveau pour choisir des gouvernants qui feraient de nouveau cette chose oubliée qui s’appelle la politique. Des gouvernants qui cesseraient d’accepter des unités de mesure confondant obstinément, dans une logique économique dont la principale force est de se présenter comme la seule possible, investissements et dépenses : éducation, santé, défense, recherche…
Non, ce qui semble nous éloigner un peu plus du bonheur et de la vision de Saint-Just, c’est le Conseil des ministres de l’agriculture de l’Union Européenne. Lors de sa dernière réunion, il a décidé de reporter au mois d’octobre une décision lourde de sens : la diminution de 75% des fonds du PEAD, le Programme Européen d’Aide aux plus Démunis en matière alimentaire. Il s’agit, mais peut-être faudra-t-il bientôt en parler à l’imparfait, d’un dispositif permettant d’utiliser les excédents et les surplus de produits alimentaires générés par la PAC en les redistribuant aux associations d’aide dans chaque pays, comme par exemple en France, La Banque alimentaire ou Les Restos du cœur.
Tout a commencé le 20 juin lorsque six pays menés par l’Allemagne ont saisi la Cour européenne de justice et fait acter par la Commission européenne la réduction de la dotation du PEAD de 480 millions d’euros à 113 d’ici 2012 et, en ce qui concerne la France, de 78 millions à 15,9. Plus concrètement, cela signifierait chez nous 49 millions de repas non distribués par la Banque Alimentaire, 21 millions par Les Restos du cœur et 11 millions par la Croix Rouge. Quand on sait que le PEAD couvre plus de 50% des produits distribués par ce biais aux 80 millions d’européens vivant sous le seuil de pauvreté, on mesure la panique qui s’est emparée des associations, au point que le président du Secours Populaire évoque un tsunami alimentaire tandis que celui des Restos du coeur n’hésite pas à déclarer : « Si aucune décision n’est prise, nous connaîtrons une crise humanitaire et alimentaire à travers toute l’Europe. Si le politique ne prend pas ses responsabilités, il ne faudra pas dire que l’on ne savait pas ».
Il les a pourtant prises, d’une certaine manière, ses responsabilités, le politique. Il y a d’abord eu l’Allemagne et ses six suiveurs (Royaume-Uni, Danemark, Pays-Bas, Suède, Autriche et République Tchèque) qui estiment que la baisse des excédents alimentaires- qui oblige à ponctionner de 1% le budget de la PAC pour maintenir l’aide au même niveau- n’est plus supportable. Il est dommage qu’ils n’aient pas le même réflexe quand il s’agit de renflouer les banques avec l’argent des contribuables et sur une échelle bien supérieure à quelques millions d’euros.
L’autre décision politique, c’est celle du Parlement Européen. 85% des députés ont voté le 7 juillet pour le maintien de ce programme. Mais ce n’était que le Parlement Européen, c’est-à-dire des élus qui ne pèsent pas grand chose face à la Commission.
L’Europe avait ses indignés dont on aimait à l’occasion moquer l’indignation. Elle va maintenant avoir ses affamés. Il sera sans doute plus difficile d’en rire.
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