Si l’on peut légitimement s’émouvoir du sort peu enviable des populations civiles palestiniennes ou libanaises, prises en étau entre terroristes du Hamas ou du Hezbollah et Tsahal, les mouvements de contestation dans nos facs ou dans nos rues révèlent aussi des sentiments plus obscurs.
Des manifestations pour la Palestine ont été organisées à Sciences-Po Paris et dans d’autres établissements d’enseignement supérieur, ou viennent de se tenir pendant le weekend dans la rue. Malgré les rappels du ministre de l’Enseignement supérieur Patrick Hetzel ainsi que de la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon du « caractère inadmissible de tels rassemblements à l’approche de l’anniversaire du 7-Octobre ». Pour le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, « il n’est pas question de laisser prospérer l’antisémitisme et salir la mémoire des victimes du 7-Octobre. ». De son côté, Jean-Luc Mélenchon, invite les Français à mettre en place partout où ils le peuvent des drapeaux palestiniens et libanais.
La jeunesse universitaire sommée de soutenir Gaza
Cette dernière prise de position, dans sa radicalité, met en lumière les fractures de la société française en témoignant de l’adhésion de la jeunesse des banlieues islamisées et d’une partie grandissante de la jeunesse éduquée à une cause palestinienne qui n’intéresse que moyennement le reste des Français. Mais comment expliquer le succès de l’entreprise qui se veut révolutionnaire de Jean-Luc Mélenchon et de son parti la France insoumise auprès d’une partie grandissante de la jeunesse universitaire et lycéenne ?
Des jeunes Français qui se disent de gauche ou d’extrême-gauche participent à ces manifestations aux côtés de militants arabes de la cause palestinienne. Pour eux, et en tout cas pour les plus mobilisés d’entre eux, le prolétariat victime du capitalisme, ayant cédé aux sirènes bourgeoises, a perdu son auréole de sainteté, et a été remplacé par le Palestinien, nouveau Christ crucifié… Leur certitude de dénonciation permanente de l’État juif rappelle tristement des thèmes qu’on pensait disparus : le juif assassin de la pureté, le juif tueur d’enfants d’innocents etc…
À la suite du vieil antisémitisme musulman, qui tolère les juifs mais ne les accepte que vaincus et soumis, l’antisémitisme chrétien, endormi depuis la Shoah, et dont Dominique de Villepin est un parfait représentant, s’est réveillé en ne voulant donner à Israël aucun recours contre ses ennemis. Ce nouvel antisémitisme, animé par un pacifisme doucereux et culpabilisant, gourmande Israël pour son militarisme et son nationalisme sans vouloir voir la menace d’anéantissement qui pèse sur lui et à travers lui sur les juifs en Occident, ceux d’Orient ayant été victime d’un nettoyage ethnique absolu et irrémédiable.
Par ailleurs, le conflit intérieur propre à l’intellectuel de gauche du passé se retrouve chez leurs héritiers mélenchonistes et leur fait rejeter ce que Freud appelait leur propre analité et les empêche d’accepter ceux qui font tout pour réussir, c’est-à-dire ceux qui se sont fixés un but et ont accompli toute une succession d’opérations pour y parvenir où se mêlent le courage, l’intelligence, l’efficacité, le réalisme.
Quête de sens
Ainsi, dans l’antisémitisme d’aujourd’hui dont est victime l’État juif qu’on ne tolère que vaincu, diminué et peut-être mort, et à qui on dénie le droit à la victoire et à la puissance souveraine, se mêlent d’obscurs sentiments de jalousie et d’envie. Dans les banlieues, les juifs sont « ceux qui ont tout alors que nous n’avons rien ». De même, le désir de conquête universelle qu’on a prêté aux juifs depuis leur émancipation au XIXème siècle se retrouve dans les accusations dont est victime Israël, soupçonné de vouloir un grand Israël du Nil à l’Euphrate, et dont les actions de défense contre ses multiples ennemis qui veulent le détruire sont considérées par cet antisémitisme moderne comme autant de preuves de sa malfaisance.
La haine du bourgeois, venant de jeunes bourgeois eux-mêmes, comme ce fut le cas en mai-68, a été complétée par la haine du juif israélien. Ainsi se mélangent chez beaucoup de jeunes occidentaux de façon inextricable des restes de marxisme, de tiers-mondisme, d’antiracisme et de christianisme dévoyé.
Une jeunesse en quête de sens, malmenée par les errements de politiques opaques et par des vies familiales troublées par une crise générale de l’autorité, ne sait plus à quel saint se vouer et cherche un maître, ce qui serait un mauvais signe pour la démocratie.