À Noël, les médias croulent non pas sous les sapins Nordmann mais sous les éternels marronniers. Vous n’avez donc pas échappé, le mois dernier, à un énième reportage sur la suprématie des jeux vidéo, la belle résistance des jeux de société (Monopoly, Scrabble, Cluedo, etc…) et l’hypothétique retour des jeux en bois, terreur de nos chères têtes blondes. Avez-vous déjà croisé le regard effrayé et haineux d’un petit neveu à la vue de cubes en bois ? S’il le pouvait, il vous tuerait, par chance, il n’a que six ans. Ne comptez pas sur lui pour vous assister en fin de vie. Il se souviendra longtemps de cette humiliation-là.
Les parents se donnent bonne conscience en s’émerveillant devant des jeux dits créatifs et, au final, achètent des engins électroniques aussi bruyants qu’ineptes. Comment vous parler des jouets et jeux en vous épargnant la description d’une usine chinoise, ses cadences infernales et sa profitabilité record ou d’un charmant atelier des Vosges, son paternalisme franchouillard et son côté bucolique ?
Deux expositions se tiennent en ce moment à Paris sur ce thème de saison. Rappelons que fin 2011, le Grand Palais avait déjà ouvert ses Galeries nationales à une rétrospective intitulée « Des jouets et des hommes ». Mais depuis, d’autres musées parisiens succombent à l’enfer du jeu. Près de 400 jouets de la saga « Star Wars » prennent ainsi place au Musée des Arts décoratifs jusqu’au 17 mars 2013. 35 ans de produits dérivés à la gloire du film de George Lucas. Véritable paradis pour des milliers de fans français de la Guerre des Etoiles. J’en connais certains qui sont tombés en syncope devant une figurine de Luke Skywalker datant de 1978, un masque de Chewbacca ou une miniature en plastique d’un Chasseur X.
Bouffées de chaleur ou délirium tremens, « Star Wars » suscite un engouement planétaire qui est parfaitement scénarisé aux Arts décoratifs.
Pour ceux que la science-fiction laisse de marbre, je leur conseille une autre exposition historique : « Art du jeu, jeu dans l’art – De Babylone à l’Occident médiéval ». Cette fois-ci, direction le Musée de Cluny. Disons-le tout de suite, ce musée consacré au monde médiéval est un enchantement. Avant d’atteindre le frigidarium, vestige des thermes gallo-romains de Lutèce où se situe le cœur de l’exposition, profitez des collections permanentes. Je vous assure que certaines salles, notamment la 6, au rez-de-chaussée vous étreindront.
Il y a des illuminations dont on ne se remet jamais vraiment. Cette salle des vitraux présente un splendide médaillon du XIIIème siècle consacré à la Résurrection des morts. Ne faites pas l’impasse, à l’étage, sur la tenture de la Dame à la Licorne découverte par Prosper Mérimée en 1841 au Château de Boussac. C’est tout un monde englouti qui refait surface. Dans un décor magistral, sous une voûte de 15 mètres de haut, à quelques mètres du Boulevard St-Germain, le visiteur découvre les raffinements et les subtilités des civilisations passées.
Des jeux de hasard venus d’Egypte ou du Proche-Orient aux jeux de stratégie grecs et romains, ils nous renseignent sur la psychologie des hommes, leurs doutes et leurs espoirs. Plus que de simples loisirs, ils sont le témoignage des luttes, des batailles, de l’amour, des rites funéraires et du destin.
L’exposition présente, entre autres, le Mehen ou jeu du serpent né en Egypte dès la seconde moitié du IVème millénaire av. J.-C (époque pré-dynastique). « Sa piste en spirale de 70 à 90 cases en creux et en relief figure le corps lové d’un serpent dont la tête forme habituellement le centre. On (y) jouait avec des billes colorées et des figurines de félins couchés, à la longueur démesurée par rapport aux cases et aux billes » nous renseigne le guide. Le musée de Cluny nous apprend également les règles du senet (de la période pré-dynastique jusqu’à l’époque romaine), du jeu de marelle ou mérelles (très populaire au XIVème siècle et ancêtre du Backgammon), du jeu d’échecs (né en Inde aux V-VIème siècle) ou des jeux de cartes, les derniers arrivés en Europe à la fin du XIVème siècle. Certaines pièces sont uniques comme ce jeu du chien et du chacal prêté par le département des Antiquités égyptiennes du Metropolitan Museum of Art de New-York. Il se compose d’une tablette de 58 trous avec ses pions qui prennent la forme de dix fiches « dont les têtes aux oreilles rabattues ou dressées ont été interprétées comme des chiens et des chacals ».
Que vous soyez attiré par le côté obscur de la force ou le jeu des 12 signes de l’Empire romain, le sort en est jeté. Le jeu est plus fort que vous, plus fort que le Temps.
Les Jouets Star Wars – jusqu’au17 mars 2013 – Les Arts Décoratifs – galerie des Jouets – 107, rue de Rivoli – 75001 PARIS
Exposition « Art du jeu, jeu dans l’art – De Babylone à l’Occident médiéval » – jusqu’au 4 mars 2013 – Musée de Cluny – 6, Place Paul Painlevé – 75005 PARIS
*Photo : kndynt2099.
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