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Des fruits et des hommes


Arcimboldo avait bien raison. Les hommes ressemblent à des légumes et des fruits. Le constat est frappant au long des étalages de marchés. 

Fifi, la jeune maraîchère aux joues rosies est tout aussi appétissante que ses petites pommes rondes et sucrées. On a envie de la croquer.
Et cette vendeuse, qui est sur le marché Blanqui depuis trente ans, a pris les mêmes dessins de peau qu’un fruit qui vieillit. Il n’en est pas moins beau. Au contraire. Admirable de fragilité, on voudrait le dessiner.

Et le monsieur, qui a autant de caractère que ses choux généreux, que ses citrouilles immenses, que ses patates fermes. Il a la voix qui porte et le couteau tranchant.

Régalez-vous ! 2 euros les radis de Fifi au marché Blanqui !

Il n’y en a plus beaucoup des comme ça. Ceux qui ont vécu la même vie que leurs fruits. Les pieds et les mains dans le terreau.

Sur les stands aujourd’hui, on propose des courgettes de 30 centimètres et demi. Elles font toutes la même taille, elles sont lisses et propres. Normal, elles n’ont jamais vu la terre.

Le règlement européen (CE n°1677/88) ordonnant des courges droites de taille unique a été abrogé en juillet 2009. Mais les mauvaises plantes ont des racines plus profondes. C’est tout un système qu’il faudrait arracher.

Les vendeurs derrière ces caissons aseptisés ressemblent à des pharmaciens, aussi pâles que leur tablier n’est blanc. Ou à des fonctionnaires, qui ne savent pas vraiment ce qu’ils font là.

Plus rien ne lie les cageots garnis à ceux qui les vendent. Ce n’est qu’une transaction de plus. Pas d’amour pour les topinambours.

Les récoltes n’ont pas le droit d’être variés.

Le « catalogue des semences autorisées à l’échange » limite à la vente les seules variétés qui figurent dans son registre. Et ce sont des organismes officiels travaillant avec les principaux semenciers industriels, dont Limagrain, qui tiennent cette liste.

Les procédures d’inscription au catalogue sont très strictes : la semence doit respecter les critères DHS (Distincte, Homogène, Stable). Un  « moule qui brime les lois de la vie » d’après François Delmont, agriculteur bio.

Résultat : au lieu des centaines de pommes qui existaient en France, on n’entend plus parler que de Golden, de Reinette et de Granny. Les grands semenciers gagnent et les petits paysans s’effacent.

Sur les marchés, les stands s’appauvrissent et les saveurs aussi.

Alors quand on retrouve Fifi et toute sa compagnie, on sourit. Allez, allez ! 2 euros les radis de Fifi !



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est journaliste à Causeur

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