Une cérémonie de remise de diplômes peut parfois réserver des surprises.
On s’imagine assister à une soirée solennelle et émouvante, qui symbolise la fin des études et le début de la vie active. Les étudiants, coutume oblige, sont invités à faire un discours dans lequel ils peuvent faire l’éloge de l’école et des professeurs qui se sont tous révélés passionnants et à l’écoute des difficultés de chacun. En clair, on anticipe une soirée monotone et sans coup de théâtre.
Mais parfois, tout ne se passe pas comme prévu. Ce fut le cas mardi dernier à l’AgroParisTech (l’Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement), une grande école française qui délivre chaque année des centaines de diplômes d’ingénieurs en agronomie. Lors de la cérémonie, huit étudiants ont pris la parole pour expliquer leur opposition aux principaux débouchés offerts par leur école.
En effet, selon eux, cette dernière « pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours ». Ils considèrent que les emplois qu’ils pourraient occuper sont des « métiers destructeurs », raison pour laquelle ils invitent les étudiants présents dans la salle à « bifurquer » et à s’engager, comme eux, dans les luttes écologiques face à l’urgence climatique.
L’un après l’autre, ils se succèdent au micro pour dénoncer « l’innovation technologique ou les start-up qui ne sauveront rien d’autre que le capitalisme », ainsi que le « développement durable, la croissance verte, la « transition écologique », expression qui sous-entend que la société pourra devenir soutenable sans qu’on se débarrasse de l’ordre social dominant ». Ils refusent de participer au développement « d’énergies dites « vertes » qui permettent d’accélérer la numérisation de la société tout en polluant et en exploitant à l’autre bout du monde ».
Comment en sont-ils venus à ces conclusions ? Ils racontent avoir rencontré « des gens qui luttaient et [les avoir suivis] sur leurs terrains de lutte. Ils nous ont fait voir l’envers des projets qu’on aurait pu mener en tant qu’ingénieurs ». Ils désirent imiter ces gens qui vivent autrement, qui se réapproprient des savoirs et savoir-faire afin de ne plus « dépendre du monopole d’industries polluantes ».
Les voies que ces jeunes altermondialistes ont choisies ? L’apiculture, l’agriculture collective et vivrière, ou encore un collectif qui lutte contre l’accaparement et la bétonisation des terres agricoles en France, ou l’engagement contre le nucléaire. Ils sont persuadés que ces façons de vivre les « rendront plus heureux, plus forts, et plus épanouis ». Ils refusent ainsi la carrière toute tracée qui leur tendait les bras comme ingénieurs dans l’agroalimentaire.
Ce discours ayant été filmé et mis en ligne, ces jeunes gens sont rapidement devenus la cible de nombreuses critiques et railleries, tant sur les réseaux sociaux que dans la presse de droite. Mais, peut-on vraiment leur reprocher d’avoir choisi d’agir directement et concrètement sur leur environnement ? Peut-on vraiment leur reprocher de ne pas être désireux d’attendre « le 12ème rapport du GIEC qui démontrera que les États et les multinationales n’ont jamais fait qu’aggraver les problèmes » ? La réponse est oui, selon l’essayiste libéral Nicolas Bouzou ! Dans sa chronique économique du 13 mai, sur Europe 1, il s’est insurgé contre le fait « que les adultes présents dans cette salle applaudissent ». Si l’on peut être dubitatif comme lui devant certains discours qui peuvent vite verser dans le catastrophisme ou l’anti-science, il faut lui rappeler que ces étudiants qui ont fait le choix de « bifurquer » sont, eux aussi, des adultes.