Voilà quelques jours, sur le plateau de télévision d’une chaîne du service public, un très éminent sociologue (Il enseigne à Sciences Po, c’est tout dire…) déclarait sans rire que les migrants qui débarquaient à présent chez nous étaient – je cite – « essentiellement des universitaires ». Surprise ! Ce n’est pas exactement la perception que j’avais du phénomène. Qu’à cela ne tienne ! Consentons donc à nous incliner devant tant de science exposée, qui plus est, avec tant de sérieux. Recourant à ce qui paraît bien relever tout de même d’une espèce d’accommodement avec la réalité, le locuteur espérait très certainement nous inciter à considérer que cette immigration de haute valeur ajoutée ne pouvait représenter qu’une fabuleuse chance pour la France. (Ah ! L’immigration, une chance pour la France ! On devrait mettre cela en musique, en faire un hymne qu’on chanterait dans les écoles le matin, à l’appel de la darbouka). Cependant, permettons-nous un soupçon d’irrévérence. Si notre savant homme dit vrai, d’un seul coup d’un seul, l’affaire prend une tout autre dimension. Une dimension d’une gravité à la fois sociale, politique et éthique. Rien que cela. Si ces migrants « essentiellement universitaires » sont, du fait de leur niveau intellectuel même, une chance pour la France, leur fuite ne peut être, a contrario, qu’une malchance pour leur pays d’origine, où, cela va de soi, ils seraient au moins autant utiles qu’ici. Ainsi, les encourager dans cette entreprise, les y aider comme se plaisent à le faire, le cœur en bandoulière, les belles âmes des ONG, reviendrait ni plus ni moins à ajouter encore au malheur de ces pays-là. On s’étonne donc que ceux qui nous assènent à longueur de temps l’accusation d’avoir pillé et de piller encore leurs matières premières se fassent une gloire de faciliter et d’organiser le pillage de leur matière grise. Scandale ! Que fait la commission européenne !
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Mais à cela on nous oppose – toujours le même maître sociologue – que ces « migrants essentiellement universitaires » n’auraient d’autre choix que de fuir leur pays où tout ne serait que chaos, guerre, famine, dictature, bref l’enfer sur terre. Soit. Mais prenons l’Afrique, au hasard. Je ne sache pas que le continent dans son entier soit à feu et à sang. Certains de ses pays connaissent même un développement remarquable, des taux de croissances des plus enviables, un niveau technologique qui leur permet, par exemple, de s’engager dans la conquête de l’espace en envoyant des satellites sur orbite. Ces pays-là ne seraient donc pas demandeurs de gens « essentiellement universitaires » ? Et n’est-on pas fondé à se dire que ces cerveaux en rupture d’un chez soi invivable pourraient être autant une chance pour leurs voisins et frères qu’ils le seraient, prétendument, chez nous ?
Chez nous où, si on a bien compris, leur seraient dévolus les boulots des fameux métiers en tension, restauration, bâtiment, propreté, etc., tous turbins qui, c’est bien connu, font le rêve et l’ambition ultime de tout universitaire qui se respecte. À ce propos : ne pourrait-on débusquer un vieux fond de condescendance un peu raciste sous cette vision des choses ? Si nous n’avions pas affaire à un aussi docte penseur, nous serions effectivement tentés de poser la question. Nous le ferons d’autant moins que personne ne peut croire vraiment que ces migrants sont bel et bien « essentiellement des universitaires ». La réalité est un peu moins flatteuse, du moins à ce qu’il semble. J’ignore donc si cette émigration est une fuite des cerveaux ou non, mais je sais en revanche que nous avons la nôtre, de fuite des cerveaux, ici, chez nous, où nombre d’intellectuels ne cessent de s’égarer, eux, dans une fuite obstinée du réel.
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