En déroulant le tapis rouge pour Médine, la Nupes reproduit les méthodes clivantes et provocantes du FN des années « point de détail ». La meilleure manière de ne jamais gagner les élections. Qui aurait cru qu’un jour Marine Le Pen serait la grande bénéficiaire d’un jeu de mot antisémite ?
Il aura volé la vedette à tous les politiques qui espéraient faire de cette rentrée 2023 une rampe de lancement personnelle ou un préambule à l’élection européenne à venir. Lui, c’est Médine, un rappeur au succès modeste dont le discours et l’esthétique diffusent les codes d’un islam identitaire. Invité à débattre aux universités d’été d’EELV et de LFI, et à se produire à la Fête de L’Humanité, il est devenu le symbole d’une gauche qui cherche son salut dans le vivier électoral des « jeunes des quartiers » et pense que l’islamo-gauchisme est la bonne canne à pêche. Reste à savoir si la gauche Médine a définitivement fait la peau à la gauche républicaine, et si cette stratégie est une stratégie d’avenir.
Islamo-gauchisme: l’entrisme au sein de l’encadrement des partis reste marginal
Selon l’ancien Premier ministre socialiste Manuel Valls, si la gauche républicaine n’a pas totalement disparu, « la gauche Médine occupe aujourd’hui tout l’espace politique. D’abord parce qu’elle est incarnée. Certes, par un leader – Jean-Luc Mélenchon – qui ne laisse personne exister en dehors de lui. Cependant, il lui donne non seulement une voix et une identité mais aussi un discours et un électorat. Pour autant, la gauche Médine est une gauche sans projet. Toujours obsédée par le Grand Soir, son seul objectif est de créer le chaos, comme si le renversement du système suffisait à établir la justice sociale. » Cette gauche-là n’offre pas de perspectives, elle a juste besoin d’ennemis à désigner.
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Pour un ancien élu national, spécialiste des questions électorales, en revanche, il n’y a pas de gauche Médine : l’islamo-gauchisme n’est qu’un pis-aller clientéliste. Il n’y a pas d’alliance idéologique sur le fond et l’entrisme au sein de l’encadrement des partis reste marginal. Le discours calqué sur celui de l’islam politique permet juste de draguer une communauté musulmane vue comme sous emprise, votant en masse pour le candidat qui reprend leurs revendications. La démarche paraît plutôt cynique, mais il est de bon ton d’habiller cela d’un emballage compassionnel : le clientélisme ne serait que la rançon d’une sensibilité exacerbée aux discriminations. Pour justifier leur défense de certains marqueurs du séparatisme, comme le foulard, ils prétendent qu’en reconnaissant les particularismes culturels, ils favorisent l’intégration des populations concernées.
Pour un autre élu, passé par EELV, « la gauche des années soixante s’est bâtie sur la question de la décolonisation. Beaucoup tenaient pour une gloire le fait d’avoir été porteurs de valises pour le FLN, car ils avaient honte du colonialisme de certains de leurs aînés. Ils culpabilisaient à l’idée de n’avoir pas été du bon côté de l’histoire et trouvaient la rédemption en instruisant le procès de leur pays et de leur culture. Voilà pourquoi le discours des islamistes et des wokes résonne autant dans l’inconscient et la mystique des partis de gauche. »
La gauche Médine le serait donc malgré elle. Par opportunisme et vacuité. Toutefois, pour tous nos interlocuteurs, il s’agit d’un choix stratégique qui condamne la gauche à rester durablement minoritaire. Pourquoi la Nupes s’est-elle enfermée dans cette logique délétère, alors que la seule raison de cette alliance sans véritable programme était justement la promesse de gagner les élections ?
Trop de provocation, pas assez de voix…
Cet ancien collaborateur d’un député qui n’a pas retrouvé son siège y voit un choix dicté par l’urgence : « En 2022, une partie de la gauche avait le couteau sous la gorge. Pour le PS et EELV, seule l’alliance avec Mélenchon aux législatives pouvait permettre de sauver ce qui pouvait encore l’être, c’était existentiel. Quand on se bat pour la survie, prendre le pouvoir est une perspective lointaine. » Pour le spécialiste des questions électorales cité plus haut, cette situation s’expliquerait aussi par un facteur psychologique. Jean-Luc Mélenchon a toujours été minoritaire et cela lui a permis d’exister : « La force de la situation de minorité, c’est qu’elle permet l’outrance, car elle installe l’irresponsabilité. L’inconvénient, c’est que cette démarche protestataire permet rarement l’accès au pouvoir par les urnes. Quand l’union de la gauche se faisait autour d’un PS modéré, le parti allié plus radical donnait un débouché politique à la colère. Quand c’est le parti radical qui domine, la violence dans le fond et la forme du discours l’emporte, la parole modérée est écartée et les électeurs se détournent. » Le positionnement du leader de LFI comme sa personnalité font ainsi penser à ceux de Jean-Marie Le Pen dans les années 1990. Tout le monde le créditait de son talent d’animal politique, tout en considérant que, dans le fond, il préférait le confort d’une radicalité vociférante aux contraintes de l’exercice du pouvoir.
C’est ainsi qu’en pleine crise sociale et économique, qui devrait pourtant la servir, la gauche ne rassemble plus qu’un électeur sur trois. Et là où le bloc de gauche stagne, le bloc de droite, lui, ne cesse de se renforcer. Or là aussi, c’est le parti situé aux extrêmes qui domine. Avec une différence de taille, pointée par le même interlocuteur : « Le RN joue la notabilisation, là où LFI joue la provocation, cela se voit dans les sondages : Jean-Luc Mélenchon est maintenant considéré comme plus dangereux pour la démocratie que Marine Le Pen. » Et ce n’est certainement pas un flirt avec les fans de Médine qui va changer cette donne.
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Alors la gauche Médine est-elle une impasse ? « D’un point de vue démocratique, sans doute, nous répond Manuel Valls, mais peut-être ce choix de positionnement est-il lié à une réflexion de long terme qui mise sur le changement de génération. On constate chez les jeunes générations une méconnaissance de notre histoire institutionnelle, un moindre attachement à la laïcité et aux valeurs républicaines, une forme de relativisme… Jean-Luc Mélenchon imagine peut-être jouer l’avenir ? »
En attendant, aucun de nos interlocuteurs n’imagine que la gauche pourrait créer la surprise en 2027. Certains pensent que seule la droite peut éviter l’élection de Marine Le Pen, mais tous pressentent que si un deuxième tour devait opposer Jean-Luc Mélenchon à la patronne du RN, celle-ci gagnerait. Et haut la main.