L’effroyable assassinat de Samuel Paty a obligé les athlètes du déni à ouvrir les yeux. Beaucoup les ont déjà refermés. Les Français, eux, savent que le compte à rebours a commencé. Il est encore temps de contrer la progression islamiste dans le cadre de l’État de droit. Mais le respect du droit n’interdit pas l’usage de la force. Faute de quoi nous devrons choisir demain entre la guerre civile et la résignation.
Le déni c’est fini. Cette fois, ça ne peut pas continuer. Le 16 octobre, c’est ce que beaucoup ont pensé, la rage au cœur, en apprenant qu’un professeur avait été décapité en pleine rue à quelques encablures de son collège. L’horreur du mode opératoire, le statut de professeur de la victime, encore porteur d’une vague effluve de sacralité même si depuis plusieurs décennies, on s’est efforcé, avec succès, d’en effacer toutes les expressions, y compris la plus simple qui consistait à se lever quand il pénétrait dans la classe (habitude abandonnée au cours de ma propre scolarité qui ne date pas d’hier), sans oublier la nature du crime qui lui était reproché, avoir essayé d’acclimater ses élèves à la liberté d’expression : tout devrait conspirer à réveiller les somnambules qui foncent vers l’abîme en insultant ceux qui tentent de les arrêter et, ce qui est plus fâcheux, en les entraînant avec eux.
Pourtant, on ne nous la fait plus. On ne croit plus aux rituels usés, auxquels les masques omniprésents ajoutent un zeste de grotesque: le Premier ministre qui se rend sur les lieux, les chaînes info qui basculent en « édition spéciale », les mots et proclamations martiales d’usage, la République et ses valeurs, la laïcité et ses défenseurs, nous ne céderons pas, sans oublier le ridicule « ils ne passeront pas » du président, alors qu’ils sont passés et depuis longtemps. On a du mal à croire que derrière ces signifiants fétichisés il y ait encore des référents. Depuis 2015, on connaît la chanson : plus il y a de mots, moins il y a d’actes.
L’islamo-gauchisme assommé par un grand coup de réel
Il est vrai qu’on a un peu moins abusé que d’habitude (que nous ayons pris ce genre d’habitude est éloquent) des nounours, bougies petits cœurs, qu’on a laissés aux adolescents venus pleurer leur professeur assassiné et peut-être, sans le savoir, la fin de l’insouciance et de l’innocence. On nous a aussi épargné quelques jours durant le déluge de compréhension et le flot d’excuses – de pauvreté, de minorité, d’insanité – qui, en pareil cas, s’attachent à amoindrir, sinon l’horreur du geste, sa portée. Au contraire, quelques heures après l’attentat, de nombreux procureurs, plus ou moins légitimes dans la fonction, dressaient la liste des coupables par omission, complices par dénégation et tueurs par procuration – les imbéciles fanatisés qui, pour oublier leur impuissance, vitupèrent et maudissent derrière leur écran, et dans une langue à peine articulée, tous ceux qui leur refusent (à eux et/ou à leurs croyances) ce « respect » dont ils semblent croire qu’il leur est dû par naissance ou par essence. Le gotha de la soumission était pointé du doigt. Et on a beau détester les lynchages, avouons qu’on ressentait un brin de joie mauvaise à voir enfin dénoncés ceux qui, depuis si longtemps, insultent le doigt pour ne pas voir la lune. On peut savourer la victoire, même quand elle est obtenue par l’intimidation morale – car soyons honnête, à ce stade, il aurait été hardi, voire suicidaire, de faire entendre un avis divergent.
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Au lendemain du crime, l’islamo-gauchisme semblait donc défait par les faits, assommé par un grand coup de réel. Pas un de ses thuriféraires avisés ni de ses idiots utiles, me semble-t-il, n’a osé prononcer le mot « islamophobie » sur un média grand public (en fouinant chez Mediapart, on doit bien trouver quelques pépites en dehors de ce malencontreux billet de blog s’indignant que la police ait abattu l’assassin). Tous voulaient soudain « désigner l’ennemi ». Et tous sommaient cet État auquel ils reprochaient la veille d’être brutal et arbitraire d’agir vite et fort.
On a donc assisté à un impayable bal des Tartuffe le dimanche 18 octobre place de la République à Paris. Pas gênés pour deux ronds, les représentants de toutes les boutiques de la gauche pleurnicharde jouaient des coudes pour qu’on les voie « refuser l’inacceptable » et « nommer l’innommable ». Tous Charlie, tous Paty, tout est pardonné. Il y avait SOS racisme qui depuis des années, pourchasse de sa vindicte Zemmour et tous les « nauséabonds », rendus responsables des fractures françaises ; la Ligue des droits de l’homme qui, deux jours plus tôt, adressait à ses amis et alliés une tribune contre la loi « séparatisme » (devenue la loi « laïcité ») et qui s’est illustré comme auxiliaire zélé du djihad judiciaire mené par le CCIF ; des syndicalistes qui se bouchaient le nez quand un de leurs collègues était suspect de laïcisme exagéré. Et bien d’autres encore qui ont déployé une énergie considérable pour empêcher que l’on voie ce que l’on voyait. Tous les compassionnels qui, au motif de protéger les musulmans (de leurs compatriotes ?) les ont englués dans un statut victimaire où beaucoup se complaisent alors qu’il fait d’eux les objets impuissants de leur propre destin.
L’islamisme est une partie de l’islam
On ne va pas se plaindre que tous ces experts en escamotage aient enfin vu la lumière – si on peut dire s’agissant d’une aussi sombre réalité. Nul ne leur demande de faire leur autocritique publique – nous ne sommes pas des progressistes ! –, mais un brin d’examen de conscience de nuit pas. Qu’ils aient retourné leur veste sans le dire, en feignant au contraire d’avoir toujours pensé ce qu’ils prétendent penser aujourd’hui, suggère plutôt qu’ils ont fait le dos rond pour se mettre à la mode idéologique et émotionnelle du moment en attendant que la roue de l’émotion tourne. La brutalité et l’unanimité des conversions n’augurent nullement de leur authenticité. On fera donc doublement crédit à Aurélien Taché, premièrement de ne pas s’être renié et, deuxièmement, de venir porter la contradiction chez l’adversaire.
Nous ne voulons pas vivrensemble avec des gens qui sortent leur poignard quand ils entendent le mot culture française
Pour le coup, on n’a pas été déçus en bien. La quinzaine de la vérité a duré moins d’une semaine et nombre d’yeux se sont fermés aussi promptement qu’ils s’étaient ouverts. On a donc vu refleurir, sinon les justifications, les minimisations et les occultations. La petite musique du « rienàvoirisme », terme forgé par Jean Birnbaum, s’est à nouveau fait entendre : ce crime effroyable n’aurait rien à voir avec l’islam. Pas d’amalgame. Certes, tous les islamistes ne sont pas terroristes (heureusement) et tous les musulmans ne sont pas des islamistes. Mais il est presque impossible de ne pas voir que l’islamisme est une partie de l’islam, peut-être son surmoi. Si on en croit les très nombreuses et très sérieuses études sur le sujet, l’imprégnation islamiste, qui fait de l’appartenance à l’islam le socle absolutiste de l’identité personnelle, concerne un bon tiers des musulmans de France et la moitié de la jeunesse – musulmans d’abord et souvent musulmans seulement. Ils condamnent sincèrement les assassins. Mais ils continuent à refuser, en tout cas à ne pas comprendre, que l’on puisse se moquer de leur religion. Il ne s’agit pas de fétichiser les caricatures, ce qu’on a commencé à faire après avoir tout fait pour oublier leur existence. Qu’elles puissent offenser les musulmans, et tous les autres croyants, ne fait guère de doute. La ligne de fracture du séparatisme passe entre ceux qui acceptent la souffrance de la liberté et ceux qui demandent ou exigent qu’on s’adapte à leur susceptibilité. Être pleinement français, c’est pratiquer l’acceptation des offenses. Et si possible y répondre par une moquerie ou un mot d’esprit. Nous ne voulons pas vivrensemble avec des gens qui sortent leur poignard quand ils entendent le mot culture française. Élisabeth Badinter a parlé d’un deuxième peuple en référence à ces Français qui, pour pacifiques qu’ils soient, vivent dans un autre monde culturel et même anthropologique que le nôtre. Il y a de la place en France pour toutes sortes d’individus. Pas pour un deuxième peuple.
Et pourtant, on se dit que, cette fois, tout ne sera pas comme avant, que le rideau qui s’est déchiré ne retombera pas sur la réalité.
Une colère qui monte
C’est que, cette fois, la colère est plus forte que la tristesse et même que la peur, qui pourtant s’insinue partout, des salles des profs aux rédactions en passant par les commissariats. Assez ! ça suffit ! Dans tout le pays, on a poussé le même cri de révolte en découvrant l’étendue du désastre. On croyait encore, en dépit des vicissitudes, que l’école avait le pouvoir magique de fabriquer des Français. Et on découvre qu’elle est l’un des hauts lieux de la déconstruction de la France.
Tout le monde le sent, il est minuit moins le quart, peut-être même minuit passé. Il n’est plus le temps de jouer les belles âmes en ouvrant nos frontières et nos bras. Pas seulement parce que nous les avons trop souvent ouverts à de futurs assassins. Nous avons assez à faire avec des centaines de milliers de Français qui n’aiment ni la culture ni les mœurs ni les lois de leur pays pour accueillir toute la misère du monde, plus attirée (et on le comprend) par les charmes de l’État-providence que par les rigueurs de nos libertés.
Bien sûr, on se paiera encore de mots, on expliquera qu’il ne faut pas exagérer, que ce n’est pas si grave, on dira qu’il faut les comprendre avec les discriminations, le racisme sans oublier le colonialisme. On expliquera que tout ça c’est la faute de l’extrême droite. Sauf que plus personne n’y croit.
Les représentants officiels de l’islam ont-ils entendu cette colère qui pourrait nourrir d’injustes amalgames ? Toujours est-il que beaucoup ne se sont pas contentés de dire « non » à la violence, ils ont dit « oui » aux caricatures. L’un deux a même appelé les musulmans de France à défendre les intérêts de leur pays contre les appels au boycott, l’autre à en finir avec les discours victimaires. Certes, leur influence sur une jeunesse qui les considère comme des « vendus », voire des « Français » est quasi nulle. En revanche, ils peuvent contribuer à faire tomber du bon côté les hésitants et les tiraillés. Ceux qui, dans les repas de famille, pourraient prendre la défense des professeurs et engueuler le cousin qui explique à son fils que ce qu’on lui enseigne en classe est haram. Alors peu importe, dans le fond, que leurs proclamations républicaines soient dictées par leurs convictions profondes ou par sens du rapport de forces.
Le spectre de la guerre civile
Reste à apprécier la détermination de nos gouvernants et leur capacité à insuffler un peu de courage à tous les étages de la puissance publique. Nous avons besoin de fonctionnaires capables d’aller au conflit.
Emmanuel Macron a peut-être accompli une révolution intellectuelle et compris la gravité de la situation. Il doit encore prouver qu’il peut affronter la réprobation du Monde, la haine des réseaux sociaux et les froncements de sourcils de sa majorité – sans oublier les offuscations du New York Times. En plus de son patriotisme, on peut peut-être compter sur son sens des réalités électorales. Et sur sa peur de rester dans l’Histoire comme celui qui aura laissé l’islam politique gagner et le multiculturalisme s’installer. Pour commencer.
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Si personne ne veut prononcer ou écrire le mot, le spectre de la guerre civile hante les esprits. Sans doute, elle n’est pas pour demain. Mais si on n’arrête pas le processus en cours, beaucoup en déduiront qu’elle est la seule alternative à la soumission. Pour Élisabeth Badinter, il est trop tard pour que la reconquête se déroule pacifiquement. Mais il est encore possible de la mener dans le cadre de l’État de droit, si celui-ci cesse d’être un carcan synonyme de désarmement. Respecter le droit n’interdit nullement d’employer la force – ne dit-on pas que force doit rester à la loi ? Or, aujourd’hui, souligne Marcel Gauchet dans Le Figaro, les normes juridiques, telles qu’elles sont interprétées par un empilement de juridictions, protègent d’abord les individus contre les empiétements de l’État. Résultat, les caprices de millions d’individus s’opposent à la volonté du peuple, en particulier à la première, qui est de continuer à exister comme communauté politique. Nos gouvernants feraient bien de s’en souvenir : on peut changer les lois. Pas le peuple.