Franz Schreker : vous connaissez ? Ce compositeur d’opéras incarnait l’essence même de l’esthétisme décadent de la Vienne de la Belle Époque. Après la Première Guerre mondiale, ses opéras rivalisaient avec ceux de Richard Strauss auprès du public germanophone. Et puis, la mode a changé… et puis, Schreker était juif… Une reprise éblouissante de son opéra le plus populaire au Deutsche Oper de Berlin, dans une coproduction avec l’Opéra national du Rhin à Strasbourg, permet de redécouvrir ce compositeur dont la réputation posthume prend une revanche éclatante sur le temps, comme sur la cancel culture d’une époque terrible.
Quels étaient les compositeurs d’opéras les plus populaires dans le monde germanophone dans les années 1920 ? Richard Strauss, bien entendu, mais aussi l’Autrichien, Franz Schreker, dont le nom est aujourd’hui moins familier mais qui, à l’époque, était presque aussi connu que celui de son contemporain allemand. Il est difficile de parler de Schreker sans avoir recours à des étiquettes comme « post-wagnérisme » ou « romantisme tardif », voire « Jugendstil musical ». Souvent qualifiée de « décadente » – par ses admirateurs, à notre époque, et par ses pires ennemis, à la sienne – son œuvre appartient pleinement à cet âge d’or culturel viennois qui marque la fin de l’empire habsbourgeois. Elle a toute sa place à côté de Klimt, Schnitzler et Freud. Il connaissait personnellement les autres grands compositeurs de son époque : Mahler, Schoenberg, Berg et Zemlinsky. Son opéra le plus populaire de son vivant, Der Schatzgräber (Le Chasseur de trésor), vient d’être repris au Deutsche Oper de Berlin dans une mise en scène qui, bien qu’un brin minimaliste, met en valeur la richesse symbolique du livret, écrit par le compositeur lui-même, ainsi que le talent des interprètes principaux, et permet d’apprécier pleinement toute la luxuriance de l’orchestration de Schreker.

Entre Eros et Thanatos
Ce dernier naît en 1878 à Monte-Carlo où son père, un Juif originaire de Bohême, converti au christianisme et marié avec une aristocrate autrichienne appauvrie, pratique l’art du portrait photographique. Après la mort
