Un seul être vous ment et tout est dévasté : pour tenter d’endiguer l’« effet Cahuzac », notre Président a sorti l’arme fatale, quoique verbale, de la « transparence ». On aurait pu croire que son appel à la moralisation de la vie publique recueillerait l’adhésion pleine et entière du pays réel et de son lointain cousin légal. Las, le peuple a ricané et les élites ont hurlé.
Ainsi le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, a-t-il aussitôt fait connaître, sous les applaudissements unanimes de tout l’Hémicycle, son désaccord profond avec l’obligation de déclaration de patrimoine des élus, mesure conduisant, selon lui, à une République « paparazzi ». Bigre ! Voilà qu’après les ministres, les députés allaient devoir entrer dans le Loft pour s’offrir aux regards de tous et susciter l’envie et la haine mêlées des sans-culottes, qu’à l’occasion on appelle « électeurs ». En employant le mot « paparazzi », Claude Bartolone a vendu la mèche : le personnel politique se situe, à l’instar des people, au-dessus du vulgum pecus… [access capability= »lire_inedits »]
Ce mépris affiché recouvre une réalité : si la transparence est si opaque, c’est parce que notre République est encore imprégnée de féodalité. Les élus se voient comme des seigneurs, et leurs électeurs agissent trop souvent en serfs.
Les élus se comportent comme s’ils étaient titulaires à vie d’un fief ou d’une charge. Ces carrières au long cours sont source de clientélisme, de conflits d’intérêts, et dans certains cas d’abus. Depuis des années, je dénonce, en vain, le « moulisme », la propension de ceux qui nous gouvernent à s’accrocher au pouvoir comme le mollusque à son rocher. Quel pays peut se targuer d’avoir élu tant de présidents battus aux scrutins précédents ? Aux États-Unis, par exemple, la règle, c’est vae victis ! et place aux jeunes !
Cet irrédentisme est hélas cautionné par le citoyen qui voit dans l’acharnement électoral une figure de style romanesque. Combien de fois entend-on de braves gens dire, avec un soupçon d’admiration dans la voix, qu’« en politique, on n’est jamais mort ». Le pouvoir est aphrodisiaque, y compris pour le peuple.
La transparence, la vraie, commencerait donc par dissocier à la tronçonneuse pouvoir et privilèges. La res publica ne serait plus un fromage, mais un devoir civique puisqu’on ne pourrait plus en faire une carrière. Or, le mandat politique comporte, comme tout mandat, une obligation essentielle qui pèse sur son récipiendaire : rendre des comptes à ceux qui le lui ont confié. On en est encore loin.
L’erreur de François Hollande est d’avoir confondu l’édition des comptes avec la reddition des comptes. D’où l’intérêt de réformes lourdes : interdiction du cumul, limitation des mandats dans la durée, réduction du nombre de députés qui seraient élus sur des listes dissociées des territoires, mandat présidentiel de sept ans non renouvelable, etc. Toutes dispositions qui, mécaniquement, provoqueront un renouvellement de la classe politique.
Dans cette République sans aristocrates élus, la publication du patrimoine ne sera plus extravagante et ne suscitera aucun commentaire. On m’objectera que cette vision manque de panache et que nous nous promettons une médiocrité moyenne sans personnalités ni talents. Cela revient à penser qu’il ne se trouvera pas, parmi 65 millions de Français, quelques centaines de citoyens passionnés, compétents et incorruptibles pour vouloir remplir un unique et seul mandat au nom du bien public et de l’intérêt général.
Nous avons besoin d’une vraie révolution des mentalités. La seule transparence qui vaille est celle qui rendra le personnel politique invisible, aussi banal qu’un député danois. Et puisque nous avons commencé cet article en massacrant honteusement Lamartine, finissons- le en beauté avec Musset en clamant haut et fort que les choix les plus beaux sont les plus désintéressés.[/access]
*Photo : sarahstierch.
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