François Asselineau est haut fonctionnaire à Bercy et préside l’Union Populaire Républicaine (UPR)
FP. Pourquoi serait-il bon pour la France de sortir de l’euro, alors que les experts les plus autorisés nous promettent toutes sortes de catastrophes politiques et économiques si cela arrive ?
FA. Vous avez raison de préciser « autorisés », puisque ce sont toujours les mêmes prétendus experts qui sont « autorisés » à parler dans les médias. Pendant près de vingt ans, avant et après le traité de Maastricht, ils nous ont expliqué que l’euro serait un miracle économique, porteur de croissance, de protection et de stabilité. Depuis deux ans, ils nous expliquent que la sortie de l’euro signifierait la guerre, l’Apocalypse, ou le fascisme !
N’est-il pas un peu fort que les seuls « autorisés» à plastronner dans les médias sont ceux dont toutes les prévisions antérieures ont été démenties à 100 % par les événements ? Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est une inflation rampante, un million d’emplois industriels perdus, le taux de croissance régional le plus bas au monde et des États en faillite les uns après les autres, excusez du peu ! Nous servons à présent de variable d’ajustement des stratégies économiques de la Chine et des États-Unis.
Pourtant, d’autres voix et non des moindres se font entendre : Joseph Stiglitz et Paul Krugman, tous deux prix Nobel d’économie. Le premier a écrit en janvier 2012, faisant un parallèle entre l’étalon-or dans lequel étaient englués les pays développés après la crise de 1929 et l’euro aujourd’hui : « ce sont les premiers pays à l’avoir quitté qui s’en sont sorti le mieux ». Le second que « vu comme le système se comporte, l’Europe se porterait sans doute mieux s’il s’écroulait plutôt aujourd’hui que demain ». En France, Alain Cotta, Jacques Sapir et Emmanuel Todd disent à peu près la même chose. Les contraintes de la réalité sont en train de balayer les affirmations idéologiques de tous ces économistes et décideurs qui refusent de comprendre les enseignements de l’histoire. Car l’histoire monétaire mondiale a montré, depuis l’Antiquité, que toutes les monnaies plurinationales finissent toujours par exploser.
Le recouvrement de notre souveraineté nous permettra, maîtres de notre destin, d’utiliser les instruments monétaires et douaniers pour doper la compétitivité et relocaliser la production, tout en s’adaptant à la conjoncture. Cette analyse est confirmée par les faits : les exemples existent, que ce soit l’Islande ou la Suède (pour ce dernier cas, voir une conférence où je détaille tous ces arguments).
FP. Comment expliquer l’erreur historique qu’est semble-t-il selon vous, la construction européenne ? La conséquence d’un complot contre les peuples européens, et singulièrement contre la France ? Si oui quels en sont les auteurs ?
FA. Les gens nomment « complot » ou « hasard » ce qu’ils ne comprennent pas dans la politique. Dans « Tout le monde il est beau tout le monde il est gentil », titre fort à propos, Jean Yanne fait dire à l’un de ses personnages que « la manipulation des élites est encore plus facile que celle des masses ». Rien n’est plus vrai concernant l’Europe. Les perspectives de carrière, la manipulation de sentiments généreux, et l’idée du caractère vulgaire et « suspect » de tout ce qui est national ont suffi à convaincre les nôtres.
Les services d’influence américains ont d’ailleurs particulièrement veillé à placer l’Europe sous l’influence mentale de leur « soft power », depuis les Accords Blum-Byrnes de 1946, imposant à la France la diffusion de films américains sur son territoire en échange des fonds du Plan Marshall.
On ne peut rien comprendre à la géopolitique américaine si l’on ne comprend pas que, vues depuis Washington, l’UE et l’OTAN sont la face politique et la face militaire d’une même médaille, celle de l’asservissement du continent européen à leur « glacis » afin d’encercler et de contenir la puissance continentale russe. On a pu le vérifier encore avec tous les pays de l’Est, qui sont entrés, sur instruction de Washington, d’abord dans l’OTAN puis dans l’UE. La prochaine adhésion de la Turquie à l’UE ne s’explique d’ailleurs pas autrement que par ce souci de Washington de faire coïncider les périmètres de l’UE et de l’OTAN. Cette adhésion – et non celle de la Russie – demeure incompréhensible sinon.
Ainsi étoffée, l’UE comprend désormais une majorité écrasante d’États dépendants stratégiquement des États-Unis, ce qui empêche définitivement l’émergence d’une voix politique « européenne » indépendante. L’Europe s’est vue imposer une idéologie néolibérale venue d’outre-Atlantique, même si elle est la seule entité au monde à s’infliger ces principes naïfs d’ouverture totale.
L’Europe est une « erreur historique » parce qu’elle ne peut conduire qu’à une Tour de Babel ingérable, que seuls les États-Unis d’Amérique peuvent piloter en sous-main. C’est d’ailleurs ce qu’avait diagnostiqué à merveille Charles de Gaulle dès sa conférence de presse du 15 mai 1962. « L’Europe » n’est pacifique que pour la propagande. En réalité, elle est devenue la supplétive des stratèges guerriers américains, comme on le voit de façon scandaleuse en Afghanistan.
En France comme dans les autres pays de l’UE, les dirigeants politiques sont devenus des marionnettes aux mains d’une oligarchie atlantiste qui les somme de démanteler leurs propres nations, de violer les référendums, et de se soumettre à une dictature économique qui confie le pouvoir à des technocrates non élus.
FP. Outre le goût de la liberté que signale selon vous son nom (la France en tant que pays des Francs, les hommes libres), la France a-t-elle une identité ? Si oui, laquelle ?
FA. Je suis effectivement un passionné de l’histoire de notre pays. La France n’a pas une identité ethnique, au sens allemand. Elle est avant tout une volonté politique. La France est l’illustration par excellence de cette définition que Renan donnait de la nation : un « plébiscite quotidien » se fondant sur un sentiment d’appartenance à une histoire commune tissée depuis au moins 1 500 ans. Malgré cet « effort multiséculaire de centralisation », selon le mot du Général, elle est traversée de contradictions, de divisions profondes et durables.
Parmi les spécificités de la France, il en est deux qui méritent d’être particulièrement soulignées :
– d’une part, le besoin profond d’égalité des Français, qui se traduit par un goût très marqué pour un État puissant et régulateur, garant de justice sociale et réducteur des inégalités. Le « modèle » anglo-saxon est, pour cette raison, un anti-modèle chez nous et cela n’est pas près de finir.
– d’autre part, la tendance des élites françaises à se couper du peuple français et à se mettre à la remorque des pouvoirs ou des modes venus de l’étranger. Cette spécificité étonnante est à l’origine des convulsions de notre histoire nationale, lorsque le peuple finit par se redresser pour défendre son indépendance et sa souveraineté face à l’agresseur et aux élites qui l’ont trahi. C’est toujours le moment où ce qui était impossible devient soudain possible car, comme le dit ce beau proverbe chinois que j’aime tant à citer, « Dans un pays en proie au chaos apparaissent des ministres loyaux ».
FP. Au-delà de la déconstruction européenne, quel est le programme de votre parti ? Tous les maux de la France peuvent-ils être mis sur le large dos de Bruxelles, cette galeuse d’où viendrait tout notre mal ?
FA. La formulation de votre question est une caricature. Qu’auriez-vous pensé d’un journaliste questionnant de Gaulle le 19 juin 1940, lendemain du fameux « Appel », et lui demandant :« Tous les maux de la France peuvent-ils être mis sur le large dos de l’Allemagne, cette galeuse d’où viendrait tout notre mal ? » Comme le dit la Charte fondatrice de l’UPR, « Si elle n’est certes pas la cause unique de tous les problèmes de notre pays, la construction européenne n’en est pas moins leur cause principale. Loin d’être leur solution comme on nous somme de le croire depuis un demi-siècle, la construction européenne en est au contraire l’origine. Car elle place les Français sous une tutelle étrangère, qui vide de sens leurs choix démocratiques, verrouille indûment leur avenir, fixe arbitrairement le champ de leurs intérêts, et les plonge indéfiniment et sans raison dans le mépris d’eux-mêmes et une certaine forme de désespoir. »
Mon programme s’inspire du Conseil national de la Résistance (CNR) de 1944, car les similitudes historiques sont éclairantes. Comme nos anciens, nous proposons aux Français de « se rassembler, quelles que soient leurs convictions politiques ou religieuses et leurs origines ethniques ou sociales, afin de rendre à la France sa liberté et sa démocratie ». Par conséquent, la souveraineté énergétique et alimentaire, l’arrêt des dérives sécuritaires de surveillance (caméras dans les lieux publics, puces RFID, traçage Internet du réseau Indect), l’organisation de l’indépendance de la presse, et plusieurs réformes institutionnelles (prise en compte du vote blanc, Conseil Constitutionnel élu) sont des priorités, afin de créer un espace favorable au plein exercice de la souveraineté, par un peuple non manipulé.
La lutte contre les rentes, de capital comme de statut, une politique sérieuse de logement social, le démantèlement des féodalités économiques et financières, la lutte contre les dérives pharmaceutiques, la fin du tout-consommation, la relance de l’ascenseur social par l’éducation, une ouverture culturelle sur le monde entier et non pas sur l’américanisation généralisée, voilà, parmi d’autres, les buts que je me suis fixés. Les grandes questions nationales comme le nucléaire, la dette publique ou le choix de la politique migratoire, devront être tranchées par des référendums.
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