Les élections départementales du 22 mars n’auront visiblement fait que des heureux. Dans un bel ensemble, les chefs des grandes formations politiques ont tous revendiqué une victoire ou au moins un lot de consolation qui avait presque le goût de la réussite.
Un bon tiers de la satisfaction générale est allé à la droite et plus encore à Nicolas Sarkozy, qui peut enfin se targuer d’avoir réussi son retour en politique après des mois de tâtonnement et quelques atterrissages d’urgence. Devant les caméras, dimanche, c’est le péan triomphant sur l’air de « Moi, moi, moi…et l’extrême droite » qui avait remplacé la complainte usée du « j’ai (enfin) changé » avec laquelle le fils prodigue n’avait pas su encore convaincre qu’il était revenu. Face à lui, Alain Juppé pose en rassembleur centriste mais on le sent déjà presque sur la défensive, comme s’il se doutait que la bataille des idées, et surtout des slogans, risque bien de se jouer à droite autour du thème de l’identité plutôt que sur celui de la renaissance du centre-droit. Portée par la réussite électorale qui a tout lieu de se confirmer dimanche prochain dans les urnes, Sarkozy abordera certainement le prochain congrès de l’UMP en position de force.
Au Front national, on se réjouit d’un score historique : 25% au cours d’une élection traditionnellement difficile pour un parti sans alliés, c’est en effet une bonne performance qui garantit peut-être au FN un ancrage local plus solide. Mais c’est un aussi un score quelque peu décevant pour Marine Le Pen qui voyait déjà son parti passer allégrement la barre des 30 %. Peut-être est-ce la rançon d’une normalisation politique : il n’y a pas de raison que les électeurs FN aussi assurés de leur victoire ne se soient pas un peu abstenus aussi au premier tour. Après tout, si le taux d’abstention pour ces élections était de 50 %, il atteignait plus de 70 % chez les 18-25 ans, une catégorie de la population qui vote de plus en plus pour le parti de Marine Le Pen. En attendant, même si la vague Bleu Marine n’a pas coïncidé avec les grandes marées, le Front national est tout autant en passe de renforcer son emprise électorale que de consolider sa base électorale, au contraire des autres partis en lice et en particulier du Parti socialiste.
Rue de Solférino pourtant, on s’est targué d’avoir presque remporté une victoire, ou du moins une défaite plus qu’acceptable. Pourtant, 500 cantons perdus et 19% des voix en troisième position derrière le FN, cela ressemble plus à Waterloo qu’à Iéna. Oui mais voilà, la confusion des systèmes de comptages adoptés par les instituts de sondage couplée à la stratégie, consistant pour nombre d’élus PS à se présenter plutôt sous l’étiquette divers Gauche que sous celle de leur parti dans certains cantons, a brouillé un peu les cartes et permet donc au pouvoir de revendiquer près de 28% des voix en additionnant toutes les micro-formations d’une coalition électorale plus qu’hétéroclite qui laisse de côté Front de Gauche et EELV. Le PS reste ainsi à la pointe des évolutions sociales et du progrès technique en inaugurant l’électorat recomposé et la victoire virtuelle.
Du coup, Manuel Valls s’est offert le soir du premier tour un cigare très cinématographique qui a fait le tour d’internet, suscitant quelques détournements dont le plus savoureux plaque la tête de Valls cigare à la bouche sur l’immense col pelle à tarte de Tony Montana dans Scarface. Une manière de donner à notre nerveux Premier ministre un petit air canaille qu’on aurait pu aussi vouloir plus franchouillard en collant, en plus du cigare, la réplique culte de Philippe Noiret, l’un des flics pourris des Ripoux, dans la bouche de ce Manuel Valls triomphant : « Tu vois, donner des conseils, ça fait partie de notre boulot. On s’fait des amis et puis tout le monde est content, non ? » Après avoir éreinté les plateaux de radio et de télévision, toute la semaine précédant le vote, à coups de sermons républicains, le rôle n’aurait pas si mal été à Manuel Valls. Mais peut-être préférera-t-on le voir en Don Camillo dégustant avec satisfaction un cigare dans Don Camillo Monseigneur. Le Premier ministre pourrait presque reprendre à son compte la tirade du bon curé (en se félicitant d’être le nouveau Boudu sauvé des eaux) : « Après ces orgies de sondages, désinfectons-nous un peu la bouche avec ce parfum de chez nous. » On peut aussi voir, comme l’on fait beaucoup d’internautes, Manuel Valls en Hannibal, le cerveau de L’Agence tous Risques, qui, à chaque mission réussie, s’allume un cigare et déclare avec satisfaction : « J’adore quand un plan se déroule sans accroc. » Pour ma part, je préfère encore le cigare de Buster Keaton car Manuel Valls m’apparaît un peu comme le mécano de la départementale…
Reste à savoir si Manu et son barreau de chaise ne seront pas emportés par les nouvelles grandes marées annoncées dimanche prochain ou si Valls pourra continuer à jouer l’Hannibal politique.
*Photo : PNA/SIPA.00708635_000017
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