Comment s’y prendre pour rendre des résultats électoraux illisibles ou, à défaut, le moins lisibles possible ? Le premier tour des premières – et qui sait des dernières – élections départementales de mars 2015 resteront, à ce titre, un modèle du genre en matière d’enfumage démocratique. Les experts de la place Beauvau, sous la houlette de Bernard Cazeneuve, se sont, il faut le reconnaître, surpassés. Votre serviteur, ayant rempli son devoir électoral tôt dans la matinée sur le canton de Lille-2, avant de sauter dans un train pour Annecy, n’a pu prendre connaissance des résultats que tard dans la soirée. Et ce, en zappant sur les chaînes infos et en consultant fébrilement les sites Internet qui offraient de jolies cartes interactives, tout en écoutant d’une oreille distraite les déclarations des grands leaders ou encore celle du Premier ministre, qui a atteint des degrés himalayens d’autosatisfaction. Et ma surprise fut grandissante…
Ce n’est pas compliqué, Valls avait sauvé la République. L’abstention moins forte que prévue ? C’était lui. La quasi-disparition du FN ? Lui encore. La belle « résistance » du Parti socialiste, lui toujours. On apprenait ainsi que le FN, avec son malheureux quart des voix, était distancé par deux blocs équivalents : la droite républicaine, comme on dit, et la gauche. Première surprise, la gauche aurait donc été pratiquement à égalité avec la droite et le centre. La question, c’est : de quelle gauche parlait-il au juste pour arriver à un total aussi mirifique et inattendu ? Pas de problème, la gauche, c’est bien sûr le PS, les radicaux mais aussi les « divers gauche », le Front de gauche et soyons fous, les écolos. Il a dû échapper à Manuel Valls que sa nomination à Matignon a transformé le Front de gauche et les écolos en opposants résolus à sa politique, et que l’addition sous le terme de gauche qu’il se permettait ressemblait à celle qui consiste à additionner des pommes, des poires et des scoubidous pour faire croire qu’il existe toujours une corbeille de fruits.
De même, en additionnant droite et divers droite, il permettait aux « républicains » de reléguer le FN en troisième position. Mais c’est dans le détail des résultats que le surréalisme et l’imagination ne pouvaient que susciter l’admiration des grands et des petits. C’était la valse des étiquettes, comme quand on voulait parler, dans le monde d’avant, de l’inflation. Pratiquement à chaque canton, la nomenclature changeait. Parfois, c’était Union de la droite, ou UMP ou Union centriste contre, au choix, Union de la gauche, Majorité départementale, PCF, EELV ou divers gauche. Il n’y avait guère que le FN qui était toujours appelé FN, et encore, si on ne se trouvait pas en présence des frères ennemis de la Ligue du sud de Jacques Bompard.
Pour prendre l’exemple très concret de mon canton, mon vote a bien été comptabilisé comme Front de gauche (le binôme était exclusivement PCF) mais dans le canton voisin de Lille-3, un mystérieux binôme « divers gauche » faisait plus de 20%. De fait, ces divers gauche étaient constitués d’une candidate PCF et des écologistes. Mais il n’aurait surtout pas fallu faire apparaître cela sous une quelconque étiquette pouvant laisser penser qu’une candidature de la gauche de la gauche faisait un score plus qu’honorable, comme ce fut le cas partout où cette union rouge et verte a joué.
Je résume. Pour le FN, on relativise et pour la gauche de la gauche, on masque. Chapeau l’artiste ! Je vais donc suggérer, pour le second tour, que messieurs Valls et Cazeneuve affinent encore leur taxinomie en leur proposant les étiquettes suivantes :
-FN-RBM pour le FN bleu marine que l’on pourrait affiner en FN-RBM-N et FN-RBM-S, respectivement pour Nord et Sud puisque ce n’est pas du tout le même électorat.
-FN-diss. : on va bien trouver quelques candidats en délicatesse avec le Front pour des raisons locales.
-FN-app., pour apparentés, genre extrême-droite qui ne dit pas son nom franchement.
Pour l’UMP, ce sera encore plus facile :
-UMP-sarkozyste pour les ninistes
-UMP-juppéiste pour les partisans du front républicain, auxquels viendront s’adjoindre les UDI, les Modem, les UC (pour union centriste) voire avec un peu de chance les VG (vieux giscardiens)
-UMP-CH pour UMP canal historique (les derniers chiraquiens, fréquents en Corrèze.)
Pour la gauche de la gauche encore présente au deuxième tour, ne pas hésiter à diviser entre FDG, PG, PCF, Ensemble voire TS (non pas pour tentative de suicide mais pour Trotskisme et Dialogue.), EELV, Écolos, Amis des animaux.
En revanche, évidemment, pour le PS on garde juste l’étiquette PS.
Ainsi, au soir du second tour, le PS aura gagné de fait la majorité relative des départements français. Et Manuel Valls pourra justement se targuer d’une approbation massive du peuple français pour sa politique, ce que d’ailleurs chacun constate chaque jour.
*Photo : BEBERT BRUNO/SIPA. 00708644_000026.
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