« Ceterum autem censeo, Carthaginem esse delendam ». Ceux qui auront eu la chance de faire un peu de latin avant l’interdiction prochaine de son enseignement se rappelleront que, selon la tradition, Caton l’ancien prononçait cette formule à chaque discours devant le Sénat Romain, quel que fût le sujet abordé. « À mon avis, Carthage doit être détruite ». L’expression s’emploie aujourd’hui pour parler d’une idée fixe, poursuivie jusqu’à sa réalisation. L’adage signifie aussi la nécessité de détruire une institution ou une structure devenue néfaste mais qui persiste.
Le Parti socialiste est moribond. Nous l’avons relevé dans ces colonnes, il y a un an, après le résultat des municipales. L’année qui vient de s’écouler a confirmé, si nécessaire, que le mal était incurable. Et, plus grave, qu’il avait contaminé toute la gauche. Et plus grave encore, qu’il emmenait ce pays sur des chemins dangereux. Le déroulement des élections départementales et leurs résultats ne peuvent que plonger dans l’angoisse. Une campagne absurde à tout point de vue, une nouvelle défaite en rase campagne et une attitude après les résultats qui témoigne du passage de la panique à l’autisme.
Depuis les années 70, le Parti socialiste avait réussi à construire un socialisme départemental. Ce dispositif, fondé sur l’efficacité locale et la protection sociale, pouvait présenter un bilan flatteur. Cette drôle de cohabitation qui faisait que les Français voulaient voir la droite (papa) à l’Élysée et la gauche (maman) à la mairie expliquait en partie pourquoi la gauche était hégémonique sur près de 60 % des collectivités territoriales significatives. Il aurait peut-être été pertinent de valoriser ce bilan et l’action des sortants n’ayant pas démérité. Non, à l’Élysée, on pratique l’adage « pourquoi être efficace quand on peut facilement être désastreux ». Et là, c’est un florilège. Une attaque absurde contre une institution à laquelle les Français sont pourtant très attachés. La promesse (menace) de la supprimer, et un flou total sur les compétences qu’auront à assumer des institutions qu’on nous demande d’élire. L’instauration au nom de la parité d’un mode de scrutin délirant. Permettant ainsi de se débarrasser de sortants populaires au profit de parfaites inconnues recrutées pour la circonstance. Envoyer en première ligne le Premier ministre « nationaliser » le scrutin en diabolisant celui qui se revendique aujourd’hui à juste titre comme le « premier parti de France », rejetant au passage son électorat hors de la République. La gauche qui disposait de tous les pouvoirs en mai 2012, sortante dans 61 départements sur 100, en est aujourd’hui réduite à ce seul mot d’ordre : « faire barrage » au FN. Pathétique.
Ça, c’était avant le premier tour. Dont les résultats ont été conformes aux prévisions. La coalition de droite première, et le FN au plus haut qui s’enracine[1. Une des leçons frappantes du premier tour, était que dans toutes les communes gagnées en mars 2014, le FN a progressé pouvant à juste titre revendiquer une légitimation de sa gestion.]. Il a donc fallu monter une opération de communication pitoyable. Prétendre que le FN reculait en comparant son score objectif à ce que prévoyaient les sondages ! Affirmer contre l’évidence que le PS résistait bien en additionnant les choux et les carottes. Jusqu’à l’épisode du cigare de Manuel Valls.
Ficelles si grosses, si insultantes, qu’elles furent rapidement abandonnées par des médias pourtant facilement complaisants. Peut-on mieux être aveugle et sourd ? Ce n’est plus du cynisme mais carrément de l’autisme. Le second tour n’est que la confirmation du premier.
Le socialisme municipal est mort en mars 2014, le socialisme départemental cette fois-ci. Après la perte d’environ quatre mille permanents aux municipales (notables élus, emplois de cabinet, militants des associations subventionnées), le déficit devrait être d’environ mille deux cents. Nouvelle boucherie prévue aux régionales en décembre prochain.
On ne va pas énumérer ici toutes les catastrophes, erreurs, inconséquences, couacs qui rythment cette course à l’abîme. Cela relèverait d’un recensement quotidien. Et désormais, la dérision emporte tout. Sociologues, politologues, démographes, philosophes auscultent la société française pour comprendre ce qui se passe. Ceux qui sont sérieux convergent vers le constat d’une France désormais culturellement à droite. Un «oligopole culturel gramscien » portant des valeurs de droite se serait constitué. À cela on ajoutera la faiblesse politique de l’appareil du PS. Qui n’était pas politiquement, culturellement et professionnellement équipé pour assurer l’exercice du pouvoir d’État.
Mai 2012 est un accident historique étrange. Un candidat socialiste de substitution inconnu dont les éléphants du PS savaient les limites et qui se révélera inapte à la fonction. Un vote (serré) qui ne fut pas d’adhésion mais de rejet de son prédécesseur. La catastrophe était pourtant prévisible. Emmanuel Todd lui-même ne croyait pas une seconde à son « hollandisme révolutionnaire ». Or le choix n’était pas en fait pour ou contre Sarkozy. Il se posait en ces termes : faut-il porter la gauche au pouvoir pour faire une politique de droite ? Avec le risque qu’elle s’y brise pour longtemps. Ou bien : doit-elle rester, utilisant ses bases solides, dans une opposition tribunitienne indispensable dans une démocratie. Les Français ont choisi la première. Avec son corollaire, une gauche anéantie. Et, défi inattendu, un parti d’extrême droite en pleine ascension qui va bientôt représenter un Français sur trois…
Une gauche anéantie car, dans son naufrage, le Parti socialiste a entraîné le reste de la gauche. Mention spéciale pour le PCF qui a été au cœur de la vie politique française pendant plus de soixante ans. C’est aujourd’hui une coquille vidée de tout ce qui avait fait sa force et sa raison d’être. Systématiquement à la remorque de la gauche sociétale, subissant sans broncher, quand il ne les approuve pas, toutes les déformations historiques le concernant, il gère en comptable anxieux les lambeaux de l’héritage, sauvant le Val-de-Marne, perdant l’Allier. Son legs comprend notamment la direction de quelques centaines de collectivités locales qui viennent de l’obliger une fois de plus à des indigestions de couleuvres. Exit l’aristocratie ouvrière, fonctionnaires et élus fournissent les maigres cadres politiques qui lui restent. Et en guise de mémoire collective, on se contentera d’une poignée de commémorations tristes où l’on brandit encore quelques oripeaux jaunis du passé disparu. Le Front de gauche qui recueille 3 % du vote ouvrier (!), c’est groupuscule contre groupuscule, Mélenchon versus Autain. Et puis, les increvables et inutiles petites sectes gauchistes. Un peu de charité nous dispensera de parler d’EELV, voué à disparaître et dont l’ancrage à gauche est une plaisanterie.
Les élections présidentielles de 2017 verront probablement le retour aux affaires de la droite en la personne de Nicolas Sarkozy. Marine Le Pen recueillant au second tour entre 30% et 40 % des voix. Les projections actuelles donnent une quarantaine de députés socialistes (!) sauvant leur siège. Les collectivités locales entre les mains d’une droite revancharde. Une gauche dans l’incapacité politique et matérielle de jouer son rôle d’opposition démocratique. « Ne proposant plus d’horizon politique émancipateur », ayant abandonné les couches populaires au FN, la gauche a fait la démonstration de son inaptitude à gouverner. Faute d’argent, d’élus et de militants, la crise est aussi matérielle.
Alors que faire ? Écoutons l’intellectuel socialiste Gaël Brustier, ancien gaulliste qui ne fut pas le dernier à sonner l’alarme à gauche : «L’homme politique n’est pas un représentant de commerce. Donner une vision du monde corrélée à l’expérience quotidienne des citoyens (qui est marquée par la désindustrialisation, la précarisation, des mutations diverses du lien social, la crise de l’école ou le déclassement) est le point de passage obligé d’une stratégie gagnante en politique. C’est, pour l’heure, l’angle mort de la stratégie de la gauche. »
Angle mort ou point aveugle, qu’attendre de ceux qui garderont les quelques places pour sauver leur gamelle, ceux qui n’ont toujours vécu que des prébendes de l’appareil, ceux qui sans vergogne donnent des leçons aux chômeurs[2. Interrogé par Jean-Jacques Bourdin, Emmanuel Macron a gratifié les cinq millions de chômeurs de la phrase suivante : « Si j’étais au chômage, je me battrais et je n’attendrais pas tout des autres ». Sachant très bien que pantoufleur virtuose, il ne sera JAMAIS au chômage. Quand il quittera le gouvernement, ce sera pour un placard doré de la République, ou une banque d’affaires pour y monnayer son carnet d’adresses.] ? Comment imaginer le début d’une remise en cause ? Que ceux qui depuis trente ans ne s’adressent qu’aux couches moyennes supérieures du centre des grandes villes, ignorent les couches populaires quand ils ne les méprisent pas, puissent être soudain touchés par la grâce ?
Il faut, du passé, faire table rase. Sortir les sortants. Toute reconstruction d’une gauche nécessaire à ce pays passe par ce préalable : détruire cette gauche-là, enfant monstrueux de « l’union de la gauche » des années 70. Dans des contextes différents, la Grèce et l’Espagne sont en train de s’y essayer. Là aussi, la destruction du PS fut un préalable. Les situations ne sont pas transposables, essentiellement d’ailleurs à cause de l’existence chez nous d’un Front national fort. Un des premiers combats à mener sera contre ce dernier. Pour lui reprendre ce qu’il a volé, le soutien des couches populaires.
En France aussi, il y a un préalable : « Ceterum autem censeo, sinistram esse delendam ».
*Photo : Alain Robert/Apercu/SIPA. 00709135_000001.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !