Les grandes manœuvres ont commencé. Hier soir, si chaque chaîne y allait de son estimation au doigt mouillé, tous les instituts et journalistes autorisés s’accordaient sur un point : le FN n’était plus le premier parti de France. Oubliés les 25% des Européennes, scrutin au terme duquel le parti de Marine Le Pen devançait l’UMP et le PS ? Pas si vite. Manuel Valls et Nicolas Sarkozy ont beau se réjouir de conserve du succès des listes UMP-UDI-Modem, une alliance signée en bonne et due forme à la base et au sommet, qui arrivent en tête des suffrages avec 32% des voix au plan national, le ministère de l’Intérieur n’est pas de cet avis.
Sur les tableaux de chiffres, le seul parti dont les performances apparaissent incontestables est le Front national et ses fameux 25 % – tout simplement parce que le FN, paria de la politique française, ne s’est dilué dans aucune coalition (quoi qu’en dise Apolline de Malherbe sur BFM selon laquelle « si le Front national avait voulu s’allier avec d’autres partis, il l’aurait fait » (sic). Certes, le Rassemblement Bleu Marine est également censé rassembler la nébuleuse marinistes bien-au-delà de la sphère frontiste, mais soyons sérieux : comme me le soufflait un cadre lepéniste il y a quelques mois, « le RBM n’existe que dans la tête de Gilbert Collard ! »
Pour une « défaite » frontiste, c’en est une : la vague bleu Marine déferle en pole position sur plus d’une quarantaine de départements, y compris d’anciennes terres de mission que l’on croyait préservées de l’extrême droite ad vitam : Côtes d’Armor, Lot-et-Garonne, Pyrénées-Orientales, Tarn, Tarn-et-Garonne, etc. Moins étonnants, la percée foudroyante du Front dans le Vaucluse et le Gard, où l’UMP pourrait avoir maille à partir avec ses candidats aux deuxième et troisième tour de scrutin – souviens-toi des régionales de 1998…
Affrontons-nous un grand magouillage des chiffres ? Ce n’est pas si simple. Encore une fois, le diable est dans les détails… et la question des alliances. Ainsi, parler de « total des voix de gauche » n’a pas grand sens dans un pays où le Front de gauche – qui tient solidement sur ses positions, notamment grâce à l’implantation du PC dans ses derniers fiefs – a voté la motion de censure contre Manuel Valls. D’un autre côté, les militants frontistes auront beau jeu d’extraire les chiffres bruts du ministère de l’Intérieur, qui omettent de préciser que le PS fait tantôt cavalier seul, tantôt s’allie avec les Verts, les communistes, les mélenchonistes, etc. Les 13% du « binôme socialiste » ne veulent donc rien dire, ou presque.
Mais chacun voit midi à sa porte. Valls se persuade de l’efficacité d’une stratégie de rediabolisation qui a certes porté ses fruits à gauche – mais n’empêche ni la déroute socialiste, ni la déferlante frontiste sur la France périphérique. Les anti-Duflot coalisés chez les Verts excipent de scores déplorables – dans les cantons où EELV se présentait seul – pour faire la peau à leur ex-patronne, avant de batifoler sous les lambris de Solferino.
Quant aux centristes, s’ils ont de quoi se réjouir du grand nombre d’élus que leur a apporté la politique d’union au premier tour, ils voient d’un très mauvais œil l’UMP tirer toute la couverture. En vertu de quoi Lagarde, Bayrou et Jégo ont bruyamment fait entendre leur préférence pour le barrage au FN et contre le ni-ni sarkozyste. Nul doute qu’ils seront rejoints ces jours-ci par quelques poids-lourds dissidents de l’UMP. Vous avez dit « union » ?
*Photo : CHAMUSSY/SIPA/1503222302.
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