Denys Dubois de la Patellière vient de nous quitter à l’âge de 92 ans. Cinéaste un peu oublié aujourd’hui. De ceux qui dans les années 50 et 60 tournaient des films en noir et blanc où des orfèvres de génie fabriquaient et enfilaient les morceaux de bravoure. Jean Gabin, Lino Ventura, Bernard Blier, Pierre Brasseur serviteurs inspirés de l’art incomparable de Michel Audiard. C’était un cinéma populaire. D’abord parce qu’il parlait du peuple et de ses différentes facettes. Ensuite parce qu’il parlait au peuple qui aimait ces films. Cela valut à Denys de la Patellière les critiques virulentes de la Nouvelle vague, Godard et Truffaut en tête. Il n’en prit pas ombrage, répondant avec élégance et humilité : « Si on ne veut pas prendre de coups, on ne monte pas sur le ring ». Contrairement à ce que pensaient et disaient nos intellectuels du début des années 60, son cinéma était éminemment politique. Comme l’est d’ailleurs aujourd’hui, celui des héritiers de cette nouvelle vague, qui en dit long sur la France d’aujourd’hui. Notre cher cinéma « à la française » où l’absence d’intrigue et d’histoire, permet la mise en scène des états d’âme des CSP+, qui habitent tous le 4e arrondissement et passent leurs vacances au Cap-Ferret. De son importante production, j’en retiendrai deux, qui j’espère feront l’objet de rediffusions télé dans les jours qui viennent. Tout d’abord, Les Grandes Familles , adaptation du prix Goncourt 1948 écrit par Maurice Druon. Vous savez, l’auteur du Chant des partisans repris à pleins poumons par les amis de Clément Méric devant Sciences-Po. Superbe exercice de sociologie marxiste, et qui à mon avis, dispense de la lecture de Pierre Bourdieu et notamment de La Reproduction.
Et puis bien sûr, il y a l’inoubliable Un Taxi pour Tobrouk. Denys de la Patellière avait fait « une guerre convenable» comme on devait dire dans sa famille. Et perdu deux frères tués dans la Résistance. Cela lui a donné l’envie de faire un vrai film antimilitariste. Je ne sais pas si Xavier Cantat l’a vu, mais cela lui aurait peut-être permis d’éviter sa provocation infantile et l’humiliation de sa compagne. L’histoire de quatre Français libres, guerriers improbables, mais volontaires, dont aucun n’est là par hasard, et qui font leur devoir en maugréant. Trimbalant leur humanité et leur fraternité à un moment où il faudrait justement ne pas en faire preuve. Aucun pathos, élégance, humour et émotion. Pour finir juste une petite perle, celle qui en dit long sur la défaite de 1940. Lino Ventura, sublime cafetier et boxeur bougon (Dudu) : « Nous les Français, les prisonniers on les flingue pas ! ». Réponse de Maurice Biraud, intellectuel distancié et un peu cynique : « Forcément, on n’en a pas beaucoup… ». Un cinéma très politique, on vous dit. Merci Monsieur.
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