La maladie d’amour


La maladie d’amour

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Sur les bords de la Loire, Denis Tillinac se languit d’une bourgeoisie en voie d’extinction. En ouvrant le dernier roman du corrézien, « Retiens ma nuit » aux Editions Plon, le parfum enivrant d’une province pluvieuse et fantasmée prend à la gorge. Se dessinent alors les paysages et les rêves cabossés d’une existence protégée, loin du tumulte des métropoles. Au cinéma, Jean Rochefort affirmait que l’apparition de son vieil ami Philippe Noiret sur grand écran produisait un effet d’appartenance instantané : « c’est comme enfiler une paire de charentaises » disait-il. Une justesse de ton, un bien-être communicatif, on est immédiatement en famille, chez soi, prêt à partager les désillusions et les bonheurs fugaces de l’acteur pendant quatre-vingt-dix minutes. Les mêmes réflexes s’opèrent avec la prose de Tillinac. Il fait partie des rares écrivains à encore écrire en français ce qui, en cette rentrée littéraire, tient du miracle et d’un formidable sursaut de résistance. La langue n’a jamais été aussi maltraitée dans une indifférence quasi-générale.

Où sont les professionnels de la pétition et du désordre ? L’avant-garde culturelle ne s’aventure plus sur le terrain des mots préférant patauger dans ses fausses idées. Avec cet éternel nostalgique, défenseur des églises et des frères Boniface, aucun risque de tomber dans le politiquement correct. La dissidence lui colle à la peau. On se prélasse dans sa phrase juteuse, un bel équilibre entre l’adjectif calorique et la vigueur du style. Entre le déhanché d’Elvis et l’épopée napoléonienne. Cette fois-ci, Tillinac nous parle d’amour à la manière du clinicien Jean Freustié, sans jamais être dupe de ses propres emballements. Dans les environs de Blois et de Chaumont, François, un médecin de campagne bien marié découvre la passion avec Hélène, une galeriste mal accompagnée. En Loire, les bancs de sable ne sont pas seulement dangereux pour les nageurs, les amoureux peuvent aussi y sombrer. Ces deux sexagénaires sont frappés d’un irrépressible besoin de se rapprocher à l’âge où l’on est plutôt censé s’occuper de ses petits-enfants et soigner ses maux de ventre. Si le corps se dérobe, la tête s’enflamme. Cet amour impossible naît sous les regards croisés des proches qui désapprouvent ce ridicule démon de midi plus que passé. François n’est ni un coureur, ni un sauteur, il n’est pas atteint du syndrome « Papy boum boum » qui a fait des ravages politiques en Italie. Ce retraité des sentiments n’imaginait pas être saisi en plein cœur. Il pensait  juste organiser sa succession en profitant des douceurs ligériennes. Il chanoinisait à plein régime. « Avec Hélène, je n’avais pas peur de vieillir, encore moins de mourir. J’existais si peu » diagnostique-t-il dorénavant. Son épouse, ses enfants, sa clientèle, ses repas arrosés et son dilettantisme de bon aloi volent en éclats.

Dans ce roman tendre et brûlant à deux voix, François et Hélène racontent leur vie toute tracée jusqu’à cette rencontre (trop) tardive. Avant, les années défilaient à la vitesse d’une Micheline, sans à-coups, agissant sur l’organisme comme un puissant analgésique. Puis un jour, ce train-train déraille et ravage tout. Dans ce télescopage amoureux, Tillinac se révèle être un très fin sociologue (profession qu’il doit, par ailleurs, détester comme l’art contemporain et le bling-bling) des classes bourgeoises. La littérature ne s’intéresse plus qu’aux damnés de la terre par calcul et démagogie. La misère humaine semble décupler l’imagination de nos jeunes auteurs. Tillinac dresse le portrait d’une société de notables qui a été aussi rudement chahutée par la mondialisation. Entre les parvenus et ce vieux maillage d’aristocratie locale se jouent des rapports troubles, d’attraction et de répulsion. Les amoureux carte vermeil se débattent dans cette banale foire aux vanités pour simplement exister.

Retiens ma nuit, Denis Tillinac, Editions Plon.

Retiens ma nuit

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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